Les mains au-dessus du clavier -défoncé le clavier, je frappe fort- je cherche mes mots. Comme si mes doigts étaient à l'affût des bonnes touches. Mon annulaire gauche reste plié plus longtemps que nécessaire. Un jour l'arthrose me privera de mon moyen d'expression privilégié. Peut-être. Qui je serai se débrouillera, ou pas, avec ça. Adrienne que pourra, pour ce que j'en dis. Je tape avec la main gauche, le pouce et l'annulaire droits, le boulot de l'index et du majeur droits étant de tenir ma clope, ou un mégot éteint depuis longtemps, ça dépend de mon état de fatigue. Sous les touches, l'intérieur du clavier est certainement à moitié plein de cendre, et alors ? Il marche.
Je me masse le visage, fatigué, il me faut du café. Du faux, de la chicorée en poudre, la cafetière est en panne. Impensable, avec un accro comme moi, et pourtant ça fait deux mois que j'oublie de la réparer. Terrible ce portrait, je ne cherche pas à écrire les mémoires d'un vieux dégueulasse. Rachetons-nous : la lumière du soleil atteint ce bureau tous les jours. Je ne collectionne pas les sacs poubelle pleins. Pas convaincant ? Encore un essai : un bouquet de fleurs serait à sa place dans cette pièce. Oh et puis merde.
Les manches de ma chemise sont usées jusqu'à la corde. Normal, elle a dix ans. Onze. Je l'ai achetée au Maroc, quelques jours avant de concevoir mon fils, qui a dix ans. Ma chemise préférée. Depuis dix ans. Onze. Il y manque quelques boutons, mais elle n'a pas d'accroc. De la bonne camelote. On continue le tour ? La tasse que je viens de remplir d'eau chaude, deux cuillerées de poudre brune, deux sucres, la mousse en premier. Une tasse en terre cuite, haute, droite, elle aussi a une histoire. J'aime les objets qui ont une histoire. Non chut Manu, celui-là tu le gardes. Passons.
Autour du clavier, épars, : briquet, tabac (interval, c'est dans l'air) un crayon de papier Tom-tom et Nana qui devrait être dans le pot à crayons de mon fils, trois pots à crayons (un pour les gros objets : cutter, colle, marqueurs, un pour les stylos qui marchent, un pour le bordel) Ah tiens non : quatre pots à crayons. Le quatrième contient un marqueur, un scoubidou et un kapla. Des livres, vaguement empilés. La poule Colette, aussi décorative que peut l'être une poule en... en quoi d'ailleurs ? Je n'en sais rien. Elle est blanche quand j'enlève la poussière dessus, ça m'arrive.
Bon, assez vu les objets, prenez quelques poignées de bordel sur votre bureau pour compléter le tableau. Un pied. Mon pied. Posé sur le dossier du fauteuil qui jouxte le bureau, encore une position idiote, le mollet sur le bord du bureau et l'autre jambe repliée sous les fesses. Jamais symétrique, jamais stable, c'est le seul fil conducteur de mes contorsions et vautrages. Un pied, donc, au bout d'une jambe rose de jean, dans une chaussette qui résiste vaillamment à l'usure aux deux bouts. Se sentant observé, le pied s'agite, puis blasé, se réinstalle confortablement sur une arête du mur.