Cet après-midi, lorsque la manifestation contre la LRU (la privatisation de l'Université) est passée devant l'UMP, une affiche particulièrement provocante a attiré des lancers d'œufs colorés sur leur vitrine. Un policier a commenté : "Et voilà ! Nous dès qu'on fait une bêtise, on ne nous rate pas, mais les manifestants ont tous les droits." Comparer des coups de matraque à de la peinture est révélateur d'un état d'esprit inquiétant ; nous n'allions pas tarder à en avoir confirmation.

Des chaises ont été apportées de la fac de lettres et entassées sous les fenêtres du rectorat puis sagement remmenées par les manifestants. C'est le "printemps des chaises". Moins nombreux, nous avons continué à scander des slogans devant la fac de lettres et nous sommes installés au milieu d'un (petit) carrefour. Les policiers nous ont ont piqué nos chaises, en réponse à quoi nous nous sommes assis, nous tenant par les coudes, ce qui n'a pas empêché le transport brutal d'un certain nombre d'entre nous. Nous n'allions pas pouvoir rester plus longtemps.

Soudain j'ai senti autour de moi un sursaut de panique, et tout de suite après un contact sur mon visage : du gaz. J'ai aussitôt plaqué mes mains sur mes yeux. Le gazage m'a paru interminable ; croyant qu'il allait s'arrêter, je n'ai pas fui. Plus tard, je verrai une photo impressionnante : assis par terre, je suis entouré de trois flics me projetant un nuage de gaz sur la tête. (photo que je mettrai en ligne dès réception)

Ensuite j'ai senti des mains vigoureuses qui me relevaient et m'écartaient de l'endroit, puis des mains plus douces qui me guidaient, une voix me conseillant de garder les yeux fermés, de ne pas respirer, de continuer à avancer, les mêmes mains me débarrassant de mon manteau imprégné de gaz, la même voix envoyant quelqu'un acheter une boîte de colyre, "Une grosse !" car nous étions nombreux à être aveuglés et à souffrir, de douleur et de peur. J'ai découvert en me lavant combien précieux avait été ce conseil "surtout pas d'eau pure, de l'eau savonneuse ou du colyre". Sous la douche, mes mains se sont mises à brûler au contact de l'eau.

Après coup, j'ai appris que nous avions eu de la chance : ce n'était "que" la bombe au poivre, et non le gaz lacrymogène (avec ça tu es HS pour trois ou quatre heures) ou pire, le gel lacrymogène (là, c'est une douzaine d'heures). Bombe au poivre, un nom de farces et attrapes, pourtant il n'y a pas de quoi rire. Pour finir, on m'a rapporté les termes exacts de l'ordre qui a été donné : "Gazez-moi tout ça". Évocateur.