Le 19 mars, nous étions plus de trois millions à manifester dans toute la France. Les syndicats nous avaient alors beaucoup déçu en proposant comme prochaine grande date de mobilisation le 1er mai, six semaines plus tard.
Dès la préparation de ce 1er mai, le ton est donné : la CGT, bientôt suivie par l'intersyndicale, décide d'un apéro "unitaire" à la gare d'eau en fin de manif'. C'est à Battant, de l'autre côté du centre-ville que se tient tous les ans l'après-manif', mais les libertaires décident de se déplacer pour que cet apéro soit vraiment unitaire. Non, leur répond l'intersyndicale. (ou faut-il dire "niet" ?) Les militants n'auront plus qu'à choisir leur camp ou à faire la navette entre les deux lieux.
Au montage des stands, une organisation non syndicale mais tolérée déploie sa bannière. Le sourire de remerciement pour le coup de main fait place à la morgue : "Ne vous mettez pas ici, c'est les syndicats. Vous, vous allez tout là-bas." Ce ne sont pas d'infréquentables anars, mais ça reste tout de même des pouilleux.
Tiraillés entre participation au mouvement et boude des syndicats, tous les militants ne sont pas venus. Dans cette manif', nous sommes nettement moins nombreux que le 19 mars, moins joyeux aussi.
En fin d'apéro, l'assemblée générale de ville voulue par les militants, notamment étudiants, mais à laquelle l'intersyndicale a refusé de participer, est largement ignorée par ceux qui sont venus sous leurs drapeaux. Sauf les Solidaires, qui sont nettement plus ouverts. C'est un petit groupe qui se constitue finalement, malgré mes tentatives pour battre le rappel parmi une foule éméchée qui semble plus intéressée par ses hot-dogs.
Furax, je jette à la tête de la CGT qu'ils viennent de rater la dernière occasion de me convaincre de ne pas leur rendre ma carte. L'un d'eux parle de discuter mais se contente pour tout argument de s'approcher, tête penchée et sourire cajoleur, visiblement décidé à prendre ma colère pour un caprice féminin qu'apaiserait une bonne dose de guimauve. Je voudrais lui dire ce que j'en pense, mais il ne m'écoute pas et ne respecte pas mon espace personnel. J'abandonne rapidement le macho à son minable sort.
En partant, je lis "4 octobre" sur une banderole à moitié cachée par des gens. Un instant, je crois que c'est la prochaine date de mobilisation proposée par les syndicats. Mais non, la banderole parle de la création de la sécurité sociale, le 4 octobre 1945. Je me disais bien que c'était vraiment loin, le 4 octobre. En réalité les syndicats ne proposent aucune date.