Il me revient le souvenir d'une bribe de rêve : dans une mêlée confuse, des gens se font transpercer par des épées. Que j'aie, à ce moment ou l'instant d'avant, à me préoccuper de ne pas subir le même sort et à essayer d'empêcher que d'autres meurent, est implicite et annexe. Je ne vois que cette large et lourde lame pénétrant dans la chair d'un humain qui voulait vivre encore.
L'objet de mon souvenir est ce mouvement de pensée : je me concentre pour garder à l'esprit toute l'horreur de la chose, que sinon les circonstances : devoir assurer ma survie immédiate, ne pas devenir fou, éloigneraient jusqu'à l'anecdotique. Pour que ceux qui sont tombés devant moi ne deviennent pas aussi insignifiants que des personnages de film qu'on imagine se relever ensuite, il faut absolument que je continue à savoir ce qui est arrivé, à l'appréhender non comme un fait parmi d'autres mais comme la vérité horrible que cela représente.
Certes, il s'agit ici d'un rêve. Mais ce qu'il décrit existe bel et bien : des gens meurent ainsi, transpercés par les injustices que nous acceptons, par la violence que nous acceptons, et ceux qui l'apprennent laissent l'indifférence les recouvrir. Il y a un enjeu majeur à ne pas laisser les situations difficiles dans lesquelles nous sommes plongés nous enlever la conscience de la gravité des événements qui se produisent autour de nous.