Certain.e.s disent Adrien, quelques-un.e.s choisissent de ne pas choisir, m'appellent Adrien-ou-Adrienne. Beaucoup s'en tiennent sagement, obstinément, à Adrienne. Le choc est rude dans leurs yeux quand je dis mon comment-tu-t'appelles : Adrien. Un temps, brûlant, suspendu. Qu'est-ce qu'elle raconte ? ... ou Adrienne, c'est comme on veut, j'ajoute alors et les voilà soulagés. C'était juste une blague, un caprice. Une femme ne peut pas vraiment s'appeler Adrien. L'ordre du monde a eu chaud. Pour eux, pour elles mais surtout pour eux, ce sera Adrienne, Adrienne-la-bizarre qui prétend porter un prénom d'homme. Mais non, que j'aimerais leur dire -j'essaie parfois- ce n'est pas un prénom d'homme que je veux, ni un des prénoms de femme les plus extravagants qui soient, Adrienne mon rockyname. Je veux un prénom de gens. Qu'on m'appelle juste par mon prénom, Toi-qui-t'appelles-ainsi et non Toi-femme-qui-t'appelles-ainsi, et pas non plus Toi-homme-qui-t'appelles-ainsi. Incompréhensible. C'est bien d'une femme.
Avec les vêtements, même cirque mais en moins tranché. Des femmes qui ne s'habillent pas "en femme" il y en a. On n'aurait même pas remarqué cette bizarrerie chez moi si mon prénom ne cherchait pas lui aussi à échapper à la dichotomie. Travestie, alors ? Certains le croient, se raccrochent à leur dernière chance de me classer : travestie, donc pas étonnant, anormale de façon normale. Mais regardez mieux ! Je ne suis pas déguisée en homme. Mon menton leur jette à la tête son absence de faux poils de barbe, ma voix s'obstine dans les aigus. Personne ne peut prétendre que je cherche à tromper sur la marchandise. Homo alors ? Homasse, une butch qui ferait rouler ses biceps en un viril affrontement avec ses rivaux, les hommes ? Mais regardez-moi ! L'hypothèse n'a été soulevée qu'hors de ma présence, elle ne tient pas la route face à ma légèreté, mon aplomb de plume.
C'est quoi cette fille-garçon-mais-pas-garçon ? Le contraire de la dichotomie, ne vous déplaise. Juste quelqu'un, pas plus volumineux que n'importe qui mais pas rangeable, encombrante comme cette question qui court toujours, poursuivant ses ravages dans l'ordre du monde.