Ce billet est le premier d'une série sur le BDSM. Le sujet étant abordé presque exclusivement entre adeptes, la plupart des gens en sont réduits à s'interroger sur l'écart entre les pratiques réelles et les encadrés publicitaires qu'on trouve dans les journaux de petites annonces, quand ils s'interrogent. J'espère que ce billet vous intéressera et vous permettra d'avoir une idée plus juste de cet univers. Je compte beaucoup sur vos questions et vos critiques pour l'améliorer.

Vous savez sans doute déjà qu'il ne s'agit pas des Bandes Dessinées de Sa Majesté. Mais qu'est-ce au juste que le BDSM, et quels liens entretient sa pratique concrète avec l'imagerie qui lui est associée ? Avant de tenter de répondre à cette question, je vais prier les mineur's de ne pas lire la suite : c'est choquant, pervers, dangereux pour votre équilibre de futur's hétéros monogames à coït hebdomadaire, bref, allez vous faire un lait-fraise. Voooiilà.

BDSM sont les initiales de Bondage et Discipline, Domination et Soumission, Sado-Masochisme. Je vais vous expliquer en détail chacun de ces termes, au risque d'une légère redondance car ceux-ci se recoupent quelque peu. Pour compléter ces explications, je détaillerai ensuite quelques aspects du BDSM (selon une vision éventuellement assez personnelle) dans un petit lexique.

  • BD : deux sortes de liens

Bondage : héritier de la tradition martiale japonaise du shibari, art de lier un' prisonnier' en un tour de main dans le respect de l'étiquette (les liens traduisant à la fois le rang social du/de la prisonnier' et le motif de sa capture) le bondage consiste à transformer le corps d'une personne en un joli paquet, éventuellement suspensible, à l'aide de cordes et sans faire de nœuds.
Discipline : (on trouve parfois Dressage) celle-ci n'est nullement associée au bondage, et tout comme lui, il s'agit d'une simple option. Dans beaucoup de rôles BDSM, la domination est marquée par l'obéissance (ou une exigence d'obéissance à laquelle la / le dominé' ne satisfait pas, donnant ainsi prétexte à des punitions) et/ou par des attitudes et des postures, parfois savamment codifiées. Comme pour le bondage, il s'agit de liens, d'entraves non plus matérielles mais imaginaires, avec pour ancrage dans le jeu la capacité supposée, jouée, du/de la dominant' à imposer des restrictions à la liberté de mouvement du/de la dominé'.

  • DS : le jeu proprement dit

La domination/soumission est centrée sur les rôles et les situations plus que sur les sensations. Elle se nourrit pour beaucoup de mots et d'idées ; ainsi, elle se prête assez bien à la correspondance. Contrairement à ce que nous vivons IRL (in ze riel laïf : dans la vraie vie, c'est à dire hors de rôles explicitement définis), les rôles de dominant' ou de soumis' sont préalablement définis à notre convenance. On peut, c'est même vivement conseillé, se choisir ensemble un safe word et surtout discuter, avant, après ou même pendant, de ce qui nous plaît ou pas et pourquoi, de ce qu'on aimerait faire et comment, exactement comme c'est bien pour les amant's de discuter de leurs activités subcouettales.

  • SM : Sade et Sacher-Masoch

Sado-masochisme est initialement un terme de psychiatrie construit d'après les noms de Sade et de Sacher-Masoch. Hors de son acceptation principale, qui est l'attrait pour des sensations douloureuses, cette référence se révèle fort problématique.

Chez Sade, les protagonistes de Justine ou de la Philosophie dans le boudoir ne cherchent, hommes, qu'à jouir des femmes, femmes, qu'à jouir d'autres femmes avec des hommes (avant de subir le même sort) et ne demandent pas l'avis de leurs victimes. Si Léopold von Sacher-Masoch décrit dans la Vénus à la fourrure quelque chose qui se rapproche plus du BDSM tel qu'il est effectivement pratiqué, c'est avant tout pour une raison pratique : on ne peut imposer à autrui un rôle de dominante aussi unilatéralement que l'on soumet quelqu'un' par la force.
Sacher-Masoch comme Sade décrivent des êtres qui se moquent totalement de savoir ce qu'éprouvent leurs partenaires et même d'obtenir leur consentement. Tant qu'il s'agit de fantasmes et de littérature, c'est acceptable comme Lolita est acceptable, mais il est important d'avoir à l'esprit que l'équivalent de ces textes dans une sexualité réelle serait tissé de viols, d'abus et d'instrumentalisation des partenaires.
J'insiste : il faut bien dissocier les écrits de Sade et Sacher-Masoch du BDSM réel qui n'a pas leur caractère immoral, sans quoi l'association de nos pratiques à ces deux noms constituerait une raison aussi puissante que fallacieuse pour nous considérer comme de dangereu' pervers'.

Lexique

Donjon : lieu spécialisé dans le BDSM, non nécessairement sis dans la plus haute tour d'un vieux château. L'ambiance gothisante de cave voûtée éclairée aux flambeaux, ornée de divers équipements (lourds anneaux métalliques aux murs, cage, matériel de suspension), plaît à beaucoup, pas à tou's. Il existe des donjons proposant des soirées, et des donjons "privés" appartenant, pour ce que j'en sais, à des dominant's professionnel's. Rien ne vous empêche toutefois de baptiser "donjon" les installations que vous aurez bricolées dans votre sous-sol.

Dress-code : degré de spécialisation dans la tenue exigée lors d'une soirée BDSM ; il est suggéré aux participant's de se vêtir de cuir, de latex ou de vinyl. En réalité des vêtements noirs ou une robe de soirée seront acceptés la plupart du temps.

Fétichisme : investissement érotique de matières (cuir, vinyl, latex) d'objets (chaussures ou bottes, costumes et accessoires thématiques) ou de parties du corps (le pied). Si on peut être fétichiste de tout et n'importe quoi (la laine par exemple), le terme fait en général référence soit au fétichisme du pied, soit à des vêtements noirs, parfois rouges, dans les matières citées.

Milieu : la blogueuse Aurora (qui semble malheureusement avoir disparu de la toile) pestait avec justesse contre un certain microcosme parisien qui dicte "la" bonne manière de pratiquer le BDSM. Chacun' est libre de se reconnaître ou pas dans l'esthétique donjonesque, le dress-code cuir-vinyl-latex ou le parcours de dressage complet façon Histoire d'O, comme d'adapter les idées qui lui plaisent et de vivre ses propres expériences.

Radiateur : tarte à la crème des plaisanteries simplistes, le radiateur ne fait pas, mais alors pas du tout partie des objets investis érotiquement par celleux qui pratiquent le BDSM. C'est juste que... tout le monde n'a pas un donjon à sa disposition. Dans un appartement ordinaire, non seulement le plafond n'est pas prévu pour accueillir un système de suspension digne de ce nom, mais on dispose d'assez peu d'éléments fixes et solides où accrocher des menottes. Comme pour l'amour en chaussettes dont parle Kundera, le radiateur est plutôt l'un de ces éléments parfois inévitables dont on essaie de faire abstraction pour ne pas basculer dans le ridicule.

Rôle : le BDSM, plus précisément son aspect DS, consiste à adopter explicitement un rôle de soumis' ou de dominant', qui peut être exotique (et souvent stéréotypé) comme celui de la soubrette, ou "nous, version soumis'/dominant' " c'est à dire que nous nous comportons avec naturel, excepté pour ce qui concerne la relation de domination, généralement jouée comme une donnée arbitraire et parfois permanente sans qu'il n'en soit rien (il existe de très rares relations de domination qui sont réellement jouées en permanence ; je n'en connais qu'un exemple). Beaucoup de ces rôles font intervenir la notion de discipline, le vouvoiement ou des punitions, mais c'est loin d'être obligatoire. Les rôles BDSM sont avant tout affaire de goût personnel.

Safe word : dans un rôle où l'on résiste, se débat, supplie, comment faire savoir que l'on veut vraiment arrêter de jouer ? En définissant ensemble à l'avance un mot qui signifiera sans ambigüité cette volonté de sortir du rôle. Stop me convient très bien, mais si on craint que, le contexte prêtant à confusion, la / le dominant' ne le perçoive pas immédiatement comme un appel, on choisira un mot qui ressorte plus sur fond de "Non, pitié, arrête", par exemple "hélicoptère" ou "salade". Changer de ton et d'attitude suffit généralement, mais avoir un safe word est plus sécurisant, en particulier pour le / la dominant' qui pourrait, sinon, se laisser prendre à un jeu par trop réaliste et s'inquiéter.

Pour finir, quelques liens :