Je sais que ces boucles d’oreilles me donnent une apparence beaucoup plus féminine, même si je n’ai fait qu’accrocher des épingles à nourrice à mes piercings. Je croyais avoir décidé de ne pas performer le genre féminin -pas plus que le genre masculin- mais le problème est plus compliqué que prévu.

On ne pourrait imaginer évitement plus radical du genre qu’une série de choix aléatoires, au moment de s’habiller comme face aux -nombreuses- alternatives binaires du quotidien, et pourtant le résultat ne serait pas au rendez-vous. Dès que serait écrit au féminin un seul adjectif, dès que serait porté le plus sobre des pulls à fleurs, rien ne saurait contrebalancer ce signe d’appartenance au « groupe F » ; la limite entre ne pas performer le féminin et performer le masculin est extrêmement ténue. Refuser le genre consiste plutôt à jouer les tomboys, en faisant attention à ne pas « passer » tout à fait.

Mais je ne le fais pas. Sans être accro aux fanfreluches, j’aime porter du rose, des vêtements moulants, des trucs qui brillent ; et j’estime que je le ferais, même si mon sexe avait une forme différente. Alors pourquoi devrais-je me l’interdire, justement dans le but de m’affranchir des contraintes du genre ? Jusqu’à présent, j’ai oscillé entre les deux attitudes sans parvenir à formuler cette alternative aussi clairement.

Est-ce que je veux privilégier mon refus du genre au point de me restreindre dans mes choix d’apparence et de comportement ? Cela reviendrait à performer le non-genre comme un simple troisième genre, avec ses propres codes, lesquels seraient définis par rapport à ceux des deux genres traditionnels ! Et pourquoi pas, à en faire une composante essentielle dans la définition de mon identité, tant qu’on y est ?

Ou est-ce que je veux laisser s’exprimer ma personnalité en piétinant allègrement les frontières du genre, mais en subissant de plein fouet l’assignation forcée qui accompagne le moindre signe permettant la classification habituelle ? Et cette personnalité iconoclaste, n’oublions pas qu’elle est imprégnée jusqu’à la moëlle par un conditionnement aussi précoce qu’intensif qui l’amène le plus souvent, plutôt que de s’exprimer, à se conformer à un genre...