Dans « travail du sexe », il y a « travail », il y a « sexe », et il y a un sexisme qui, nous le verrons, n'a rien de spécifique à ce domaine. Les discussions sur le travail du sexe ont tendance à entremêler ces différents aspects, qui peuvent pourtant être envisagés séparément.
Les idées abolitionnistes sont-elles remises en cause sur l'un de ces points ? Les autres prennent le relais, et l'impression que le travail du sexe est une mauvaise chose reste (souvent sans que la raison de cette conviction soit claire). C'est pourquoi je voudrais argumenter sur chaque question, en vous demandant de les considérer séparément.

#1 L'école est sexiste, abolissons l'école ?

Comme l'indique le titre de cette partie, abolir le travail du sexe pour cause de sexisme serait jeter le bébé avec l'eau du bain. Tout, dans notre société, est sexiste : l'école, le mariage, le travail, la publicité, la médecine...
Le langage lui-même est l'un des premiers vecteurs de violence symbolique et de représentations sexistes, et nous ne pouvons ni l'abolir, ni le réformer profondément.

Le travail du sexe n'est pas sexiste par essence, mais par le contexte social dans lequel il est exercé. Il y a dans toute la société une asymétrie des rôles féminin et masculin, qui ajoute la domination à la domination : l'hôtesse de l'air en tailleur et talons vertigineux qui sert un cocktail au PDG voyageant en première classe est prise dans le même rapport de domination que la pute qui fait du sexe avec un client.
Dans le travail du sexe comme dans cet exemple, le problème est double : c'est du travail, avec tout ce que cela implique de malsain et de coercitif, et c'est sexiste, car les rôles ne sont pas répartis équitablement entre hommes et femmes.

Abolir le travail tel qu'il existe dans notre société, je suis tout à fait d'accord. (Pas vous ?) Mais abolir un travail, une activité, parce qu'elle est sexiste ? A l'école, ma mère avait couture pendant que les garçons faisaient de la menuiserie. On n'a pas aboli l'école, on a décidé de donner les mêmes cours à tout le monde.
Ce qui ne suffit pas : les garçons ont toujours droit à substantiellement plus d'attention et d'encouragements en classe que les filles, sans parler de la persistance des stéréotypes sexistes dans les enseignements. Mais le travail du sexe peut tendre vers l'égalité comme l'école tente de le faire.

Comment lutter contre le sexisme dans le travail du sexe ? En partageant mieux des rôles qui sont potentiellement interchangeables. Les hommes sont déjà présents dans le travail du sexe, quoique minoritaires à cause de la moindre demande. Il faut encore que les femmes arrêtent de se censurer sexuellement et qu'elles s'autorisent à faire appel à des services payants pour leur bien-être sexuel, tout comme elles vont chez le kiné, se font couper les cheveux ou servir dans un café.
Un mythe tenace voudrait que les hommes aient des besoins sexuels particulièrement pressants qui justifieraient le recours au sexe payé, tandis que les femmes pourraient s'en passer. C'est absolument faux. Par contre, il est tristement vrai que les femmes ont appris un rôle dans lequel leurs propres désirs ont très peu de place, et passent rarement en premier. C'est là que réside tout le sexisme.