De retour de Berlin, où j'ai appris à dire "attention à la marche" et "étoile filante". Vocabulaire peu utile au quotidien, mais c'est comme trouver des cailloux bizarres : je les garde, sans vraiment faire de collection.

J'y ai fait plusieurs séjours très différents : d'abord tourisme en famille la journée, et le soir, tous les lieux où bière et maté coulent à flots. Quelques photos :

Une andouille et son fils, arrivés à minuit à la mauvaise adresse avec un mauvais numéro de téléphone, traînant sous une pluie d'orage un sac de voyage contenant la bibliothèque d'été de la plus jeune andouille, se font tirer dessus au pistolet à eau. Lenhart recueille ses victimes et leur prépare une tisane d'une grande beauté.

Au VoCu (prononcez focou ; cuisine populaire, un lieu de convivialité anarchiste), un grand type amical et froid (combinaison quelque peu déstabilisante) me propose de modeler des objets en grillage. Je fais un avion en papier qui ne volera jamais.

Une danseuse nous invite à filer avec elle à un concert punk après son spectacle. En fin de concert, on reprend tous en choeur un slove dégoulinant de miel second degré à propos de ce monde tellement gentil, en se tenant par les épaules avec des yeux roses en forme de coeurs. Quoi too much ?

C'est la nuit, nous marchons dans cette ville au calme irréel. L'horizon est traversé de cyclistes silencieux. Schnee Suppe, Sternschnuppe.

Parking de vélos. Dix fois plus de vélos que je n'en avais vu dans toute ma vie.

Je fume des cigarettes "Cabinet".

Micro ouvert féministe. Lectures de grande qualité, je ne comprends pas tout mais quelque chose passe, c'est fort. Incapable d'applaudir, j'ai l'impression que tout le monde le remarque. Qu'il est pénible d'être parano. Ensuite, bonds enthousiastes autour de Karin, innombrables projets d'écriture. Retour en porte-bagage, ma première chevauchée depuis la fois où j'ai cabossé une voiture avec ma tête. Même pas peur.

Le doux Valentin va être expulsé, il donne son frigo. "Je croyais que tu le prenais demain." Il le vide devant nous, s'excuse de ne pas l'avoir lavé alors qu'il est tout propre, nous propose de prendre aussi les épinards congelés. Nous emportons l'engin. Le lendemain, Valentin mange des épinards.

Un soir, la langue nous a manqué pour nous protéger. Deux filles qui ne répondent pas quand on les insulte, une aubaine pour les lamentables machos ordinaires que nous avons croisé. On a eu de la chance, puisqu'on s'en est tiré's "seulement" avec une belle entaille au doigt de ma copine. C'est là qu'a commencé mon troisième séjour : j'ai visité les urgences berlinoises, le commissariat berlinois, la peur de sortir seul' dans les rues berlinoises.

Il m'a fallu deux jours pour m'aventurer seul' dehors. Trois cents mètres, de jour. Ce soir, deux semaines plus tard à Besançon, j'ai senti que ce n'était pas terminé. Les femmes doivent sans cesse défendre leur droit à fouler le territoire mâle, le monde extérieur. Je n'avais pas peur et je ne vais pas me laisser intimider comme ça. Le premier obstacle, ce n'est pas ce qu'on risque en sortant, c'est d'éviter de le faire. Alors je vais sortir, exprès, faire un tour tous les soirs. Une ronde obstinée.