Je ne vous ferai pas le coup du moi aussi je peux le faire : parler de La disparition sous contrainte lipogrammatique, c'est faisable, mais d'abord ce serait beaucoup de boulot, et surtout là n'est pas l'intérêt. Ne retenir de ce roman que la contrainte, c'est aussi injuste que si on disait (avec admiration certes) : Victor Hugo, quel poète ! Il a écrit des centaines de pages tout en alexandrins. C'est même plus injuste, parce que dans ces centaines de pages, il doit s'en trouver qui n'ont guère plus de mérite, alors qu'aucune de ce bouquin ne se limite à la performance tant vantée.

Ce qui me plaisait dans les romans d'Agatha Christie, c'était de pouvoir enquêter tout en lisant l'enquête ; ce qui m'agaçait, c'est que souvent l'auteur ne se gênait pas pour nous priver jusqu'à à la fin d'éléments indispensables. Dans La disparition, on peut chercher tout à son aise : l'intrigue policière autorise quelques pronostics, mais surtout chaque passage contient des allusions, symboles ou phrases à double sens, signalées par des indices et parfaitement transparentes aussitôt que repérées.

Par exemple on apprend qu'Anton Voyl a fait installer sur son auto un dispositif anti-vol. On se prend à prononcer anti-voyl, à comprendre anti-voyelle. Indice ou pure spéculation ? quelques lignes plus loin, le flic se fâche : pourquoi donc a-t-il fait installer (Perec insiste) un dispositif anti-vol sur son auto ? Il y a pourtant cinq ou six trucs qu'on croyait avoir compris... Ce cinq ou six comme le nombre de voyelles ne peut manquer d'attirer l'attention, et soudain le doute n'est plus permis : pourquoi, demande le flic, se prémunir non contre une, mais contre cinq ou six, toutes les voyelles (ou toutes sauf une) qu'on (l'auteur) a pourtant comprises, c'est à dire incluses, dans le roman ?

Trouver des allusions comme cet anti-vol, se les entendre confirmer par de magistraux passages à double sens, découvrir que le mot bourdon possède (au moins) dix sens différents, voilà de quoi pimenter la lecture de ce qui constitue par ailleurs un roman policier tout à fait honnête, et même haut en couleurs puisque celles-ci poursuivent le lecteur' à travers tout le texte grâce aux correspondances établies par "Vocalisations", le sonnet bien connu. Un régal. Bref : lisez-le, vous le relirez.