Voici quelques témoignages de personnes "retenues" au CRA Mesnil-Amelot.

21/06/2010

Lors d'un coup de téléphone hier au centre de rétention du Mesnil Amelot, des camarades ont appris qu'une grève de la faim y avait commencé (ci-dessous, le témoignage fait hier à cette occasion). Ce soir, la contestation s'amplifie. On leur a servi de la bouffe périmée, une omelette préparée le 14, dépassée depuis le 17 ! Les retenus ont discuté ce soir et veulent tous se mettre en grève de la faim. Ils ont appelé un journaliste du parisien. Un deuxième coup de fil nous apprend que de nombreux retenus sont malades : "La moitié du centre est par terre, on refuse de rentrer dans les chambres, on fait une manifestation."

dimanche 20 juin 2010

"Moi je m'en fous, je connais le chemin pour revenir. J'ai encore vingt ans. Je suis jeune, mais j'ai de l'expérience, j'ai traversé la mer Méditerranée plusieurs fois, je suis allé en prison, j'ai fait les 400 coups comme vous dites ici en France. Ça fait depuis le 22 mai que je suis là, je suis le plus ancien, il me reste trois jours à tenir ici. Je sors de la prison, je fais la double peine. Ils sont venus me chercher à l'intérieur de la prison pour me ramener ici.
Ils ont des doutes sur mon origine. À chaque fois que je me fais arrêter, je leur donne un nom différent. Quand je suis passé chez la juge, elle avait un dossier de 200 pages. Elle m'a dit « C'est qui tout ces noms ? », je n'ai rien trouvé à lui dire. Elle m'a demandé de quelle origine je suis, je lui ai dit du Maghreb United. Ils m'avaient mis sur un vol pour l'Algérie, le consul a donné un laissez-passer, après j'ai dit que je préférais revenir dans mon pays d'origine, mais pas en Algérie, parce que là-bas, ils mettent en prison. Je suis parti voir le chef du centre, je lui ai expliqué que j'étais pas Algérien.
Ils veulent envoyer les Marocains en Algérie et les Algériens au Maroc. Le consul d'Algérie, même si vous êtes Français, il vous donne un laissez-passer, ce qui l'intéresse, c'est les 300 euros. Le consul Marocain, il fait plein de promesses, il jure qu'il va aider si on lui dit la vérité. Et en fin de compte, ceux qui disent la vérité, il leur fait le laissez-passer. La Cimade, ils disent rien du tout. Je vois pas comment ils pourraient aider les gens à part faire des rappels. Ils donnent des conseils, ils écrivent des lettres, mais voilà, ils ont pas le pouvoir de sortir les gens d'ici. Mais la Cimade, je les apprécie bien, ils m'ont aidé.

Entre nous on se soutient, mais il y a pas beaucoup de solidarité. Tout à l'heure, y a le gendarme qui a commencé à me pousser, j'ai appelé les gens pour qu'ils viennent avec moi, mais y a personne qui voulait venir, j'étais tout seul. Je suis maltraité, ils ont été violents, ils m'ont poussé et je suis pas le seul, ils font ça avec tout le monde.
On peut fumer, toute la drogue rentre ici. Les flics le voient et s'en foutent, du moment qu'on s'enfuit pas, on fait ce qu'on veut. Ils donnent pas bien à manger, ils traitent mal, ils tutoient les gens.
Ils nous droguent. Ils droguent toute la nourriture, donc tous les retenus. Ils nous mettent des gouttes pour qu'on dorme : dès qu'on mange, on est fatigué. J'ai commencé à prendre des médicaments alors qu'avant j'en prenais pas. Du rivotril, et le soir, les gouttes. Je me suis plaint, alors ils m'ont emmené chez le psychiatre. Je lui ai parlé normalement, il m'a juste répondu « je suis pas dealer » et m'a rajouté des gouttes pour aller dormir.

Il y en a plein qui font des tentatives de suicide. Deux fois j'ai failli mourir ici, j'ai fait deux tentatives de suicide. Je suis pas le seul, hier y a une personne qui s'est pendue, elle est partie à l'hôpital et on n'a pas de nouvelles depuis. En plus, pour l'emmener dans l'avion, ils lui ont anesthésié les mains, deux piqûres, il pouvait pas les bouger. Il criait dans l'avion, donc le pilote est sorti et a dit qu'il l'acceptait plus. Quand il est revenu, il s'est pendu. On n'a plus de nouvelles de lui. Il respirait très mal. Ça fait 18 jours qu'il est là.

Y a des gens qui font une grève de la faim, ça fait quatre ou cinq jours. Ils doivent être une cinquantaine. Ils boivent de l'eau, ils sont mal en point. Y a des médecins, mais si vous allez les voir, ils vous donnent des médicaments pour aller dormir. Ils nous droguent, ils mettent ça dans le café. Tu commences à perdre la raison après.

On est 100 dans le centre. On communique avec tous les bâtiments jusqu'à 20h30, après ils ferment les portes, y a plus de cour commune. On est trop nombreux. Des gens dorment là où y a la télé, d'autres dorment par terre, y en a même qui n'ont pas de matelas et dorment sur des couvertures. Y a des gens qui ont été ramenés en bleu de travail, direct des chantiers.
Vous voulez vous plaindre à qui ? Le chef, je l'ai vu dix fois. Il est gentil, mais il peut rien faire. Si il faut faire quelque chose, je suis le premier à foncer tête baissée, parce que ça va pas pour les gens qui se trouvent ici."

21/06/2010, 23h

Je viens de téléphoner à une cabine.
Le retenu qui a répondu m'a dit qu'un retenu s'était mutilé les veines et le ventre avec une vitre, qu'il a été emmené et qu'ils sont sans nouvelles de lui ; que les retenus sont malades (vomissements, graves maux de ventre) suite à l'absorption de nourriture périmée (omelette) et qu'aucun soin ne leur est apporté.
Il m'a dit sur lui-même qu'il a fait un refus d'embarquement, qu'il a entendu parler de piqûres qui pourraient être faites aux bras la prochaine fois, qu'il est marié à une femme de nationalité française qui est enceinte de jumelles/jumeaux.

21/06/2010, 23h45

Première personne : "S'il vous plaît on va mourir ici tout le monde. Y'a vingt personnes, ou plus, qui ont mangé quelque chose de pas bon. Mais à ce numéro sa femme va l'appeler, il faut raccrocher."

À l'autre cabine, ils sont plusieurs à se relayer : "On nous a donné des trucs qui sont périmés, après on est tombés tous malades ici, mais attends je te passe mon collègue lui aussi il va te dire".

"Ils m'ont donné de la bouffe vraiment périmée. Il y a plus d'une dizaine de personnes qui ont commencé à vomir, on est restés plus de deux heures sur le sol. Après, un médecin est venu. Et demain, on a parlé avec les gens, peut-être on va faire une grève de la faim".

"Aujourd'hui on a mangé une chose qui était périmée depuis le 17. Aujourd'hui on est le 21".

"On a vu que c'était périmé et les gendarmes qui étaient là ils n'ont rien voulu savoir, ils étaient indifférents. On a montré à la dame qui nous donnait à manger. Elle s'en foutait. Alors on a quand même mangé. Après on est sortis du réfectoire, on a commencé à vomir. On a attendu deux heures de temps. Le médecin a donné des cachets mais jusqu'à présent ça ne va pas".

"Même à côté, il y a plusieurs gars qui ont voulu se suicider. Hier matin il y a quelqu'un qui a bu une bouteille de shampooing. Et tout à l'heure il y en a un qui a déchiré son ventre. Mais c'est dans l'autre bâtiment, on ne peut pas voir."

"On a peur pour nous ici. On a déjà peur pour l'expulsion, maintenant on a peur pour notre vie. Les gens ont peur, Madame."

22/06/2010, 19h55

"On a eu de la nourriture périmée, une omelette et des tartelettes aux pommes. On est malades. on a eu une intoxication alimentaire.
On a peur, j'espère que vous êtes bien une association, on a peur des représailles, parce qu'il y en a qui ont parlé et on les a emmenés à l'avion.
Est-ce que vous pouvez nous aider, Madame ?
Hier soir, y en a un, il s'est blessé, il a failli se faire égorger ; ce matin, il a été évacué.
Est-ce que vous pouvez nous aider, Madame ? On est désespérés.
Aujourd'hui, un autre, il baignait dans son sang, il était par terre. Ils l'ont emmené à l'hôpital apparemment. Je ne sais pas s'il va revenir ou pas. ils l'ont évacué sur un brancard.
Il y a deux retenus qui ont promis de se blesser ce soir ou demain."

22/06/2010, 20h30

"Tous les jours il y a des suicides, Madame. Je vais me suicider le 28. ils ont affiché mon nom pour le 28. Je veux pas partir, Madame. Ça fait seize ans que je suis ici. J'aime la France comme mon propre pays. J'avais la moitié du corps paralysé hier soir. J'ai une sciatique. J'ai des problèmes psychologiques. J'ai demandé à voir un médecin, ils m'ont dit pas avant vendredi. J'ai commencé à faire une grève de la faim aujourd'hui. Je vais continuer demain. ils ont donné des trucs périmés hier soir. je vais me suicider ici ou là bas."

Source : liste de discussion RESF

Je ne vois rien à ajouter, du moins dans les limites toujours plus étriquées de la liberté d'expression légale, sauf peut-être cet extrait de la Convention internationale sur l'élimination de toutes formes de discriminations raciales (CERD) des Nations Unies, entrée en vigueur le 4 janvier 1969 et ratifiée par la France :
Dans la présente Convention, l'expression «discrimination raciale» vise toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l'ascendance ou l'origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l'exercice, dans des conditions d'égalité, des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique.

et la définition internationale de crime pour apartheid comme :
tout acte inhumain de caractère analogue à d'autres crimes contre l'humanité commis dans le cadre d'un régime institutionnalisé d'oppression systématique et de domination d'un groupe racial sur n'importe quel autre groupe racial.
Les crimes d'apartheid énumérés sont le meurtre, l'esclavage, la privation de liberté physique, la réinstallation forcée, la violence sexuelle, la persécution individuelle et collective (résolution 3068 XXVIII de l'assemblée générale des nations unies du 30 novembre 1973).

Source : Wikipédia, articles CERD et Crime d'apartheid