L'enragé'

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Tag - identité

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lundi 29 août 2011

Bousculer la norme - Le prix d'une identité choisie

Je me souviens de l'une de mes premières révoltes contre le genre. On m'a dit : "T'y arrives pas mal pour une fille". Puisque c'était un compliment, j'aurais dû être content', au lieu de quoi je poussai le manque de logique au point de me vexer et de me fâcher (les femmes sont notoirement inconséquentes et d'humeur capricieuse).

J'aurais préféré une appréciation moins positive, mais adressée à ma personne dans l'absolu. Impossible : les filles n'ont pas les mêmes capacités que les garçons, il faut bien en tenir compte pour évaluer leurs performances. C'est curieux, parce que les gens ont aussi des performances différentes suivant leur âge, et pourtant on n'a pas trouvé utile de préciser "pour ton âge".

Je pourrais m'étendre longtemps sur l'arbitraire du regard différenciateur porté sur les gens en fonction de "leur sexe". Ce que je veux raconter, c'est ce qui arrive quand on décide que la forme de son zizi n'a rien à voir avec les comportements qu'on va adopter en société, la façon dont on va se vêtir ou l'aune à laquelle on va accepter d'être jugé', et autres éléments de ce jeu de construction qui sert habituellement à produire une identité féminine ou masculine.

Quand on décide d'être soi comme personne avant d'être "femme" ou "homme" (l'assignation de genre frappe tout aussi durement celleux qui voudraient échapper au "masculin" qu'au "féminin", bien que "le féminin" constitue un handicap en lui-même), voire d'être soi tout court, on découvre un monde étrange, où rien n'est plus aisé que d'enfreindre "les lois de la Nature", mais où la facture que l'on vous présente aussitôt s'avère plutôt salée.

Même si cela peut sembler superflu, pour vous donner une idée du coût de la moindre entorse à la norme, je vais commencer par rappeler en quoi elle consiste ; ce qui est attendu de vous "en tant que femme" pour être considéré' comme normal' :

D'abord, vous devez vous percevoir et vous définir comme "femme". La féminité (ou la masculinité) étant hautement performative, se déclarer "femme" (ou "homme") est fondamental pour l'être. Cette première condition étant généralement validée de manière implicite par la réalisation de la seconde, c'est seulement quand on y contrevient formellement qu'on découvre son existence.

Deuxio, vous devez donner à voir des signes suffisamment clairs de "féminité" pour que les autres vous identifient immédiatement comme "femme". Remarquons au passage que cette compétence n'est pas une donnée si naturelle que ça : tout un apprentissage est nécessaire pour réussir cette identification, apprentissage dont le caractère obligatoire apparaît nettement dans l'effet comique produit par l'enfant de Allô maman ici bébé hésitant sur le sexe de Gorbatchev.

Enfin, vous ne devez pas présenter d'éléments trop exclusivement "masculins", même si ils ne gênent pas votre identification. Toutefois, si le port d'une robe ou de talons hauts constitue une infraction totalement gratuite et injustifiée à la performance de genre attendue d'un "homme", le port même systématique de pantalons est admis pour une "femme". Ainsi, certaines infractions ne seront sanctionnées que par une pitié paternaliste : la pauvre qui ne sait pas s'habiller, la malheureuse incapable de se résoudre à affronter le supplice de la cire...

Mais au-delà de cette marge de manoeuvre assez limitée, le sourire s'efface et la condamnation tombe : garçon manqué, femme à barbe, monstre de foire ! C'est pourquoi mieux vaut "passer" entièrement que partiellement, être perçu' comme d'un autre genre, mais bien répertorié, que laisser planer le doute. C'est le choix que faisaient les butch notamment aux Etats-Unis dans les années cinquante, quand le "travestissement" était un délit lourdement réprimé.

Quant à se soustraire à la première obligation, cela entraîne un autre type de sanction : non seulement on vous prête une santé mentale aussi incertaine que si vous prétendiez être Napoléon, mais bien sûr, on ne vous croit pas. Vous n'êtes toujours pas une personne avant d'être une femme, mais simplement "une femme qui dit qu'elle n'est pas une femme". L'incongruité de l'assertion est telle que tout le monde s'empresse alors de changer de sujet, avant qu'il ne vous prenne fantaisie d'affirmer que le cheval blanc d'Henri IV était rose fluo.

Bien sûr, ces sanctions ne sont pas aussi concrètes que celles qui sévissent encore hors du monde civilisé (plus pour longtemps, heureusement, car de bonnes âmes ont entrepris d'exporter nos moeurs policées chez les barbares). Mais pour les vivre, ces sanctions, je vais oser prétendre depuis mon insolent confort de privilégié' que cela revient pratiquement au même. Qu'une frontière invisible reste une frontière, et que la négation non seulement de votre identité, mais de tout sens à la revendication que vous en faites, peut être aussi douloureuse et destructrice qu'une lapidation.

mercredi 17 août 2011

Changer de sexe ? Si seulement...

J'ai toujours su que je ne voulais pas du genre féminin. Quand j'ai voulu faire plus que le repousser : le refuser, m'en débarrasser, j'ai d'abord essayé d'adopter le genre masculin. C'est ce qui viendrait à l'esprit de n'importe qui, non ? Mais j'ai rapidement compris que je ne voulais pas non plus des codes et des stéréotypes qui sont censés définir ce qu'est "un homme". Pas plus que de ceux qui représentent "une femme".

Quel choix me restait-il, alors ? Comment vivre, comment me présenter, quels codes donneraient aux gens le moyen de me voir tel' que je suis ? Petit à petit, deux constats me sont apparus.

Petit un : il n'y a pas de case pour moi. En tout, il n'y en a que deux, et peut-être, un peu, parfois, la possibilité de tracer une croix entre. Moi, je voudrais placer cette croix complètement ailleurs, dessiner une case en forme d'étoile ou de citron dans la marge du formulaire, sous la mention "moi, Spangle". Là, enfin, je pourrais la cocher.

Petit deux : d'autres gens éprouvent ça. Non seulement il y a des trans, mais les mots "intersexe", "intergenre", "gender blender", "gender fucker", "agenre", et bien d'autres, existent. Ce ne sont pas des mots de fiction, à propos d'hypothétiques habitant's de lointaines planètes, ce sont les mots que des gens ont forgés pour pouvoir se dire.

Des gens comme Leslie Feinberg qui me comprennent, n'ont pas de mal à penser qui je suis et savent où j'en suis, ce que je vis, ce que j'ai traversé pour en arriver là. Des gens qui disent tout ça exactement comme je veux le dire (mieux même parfois, avec plus d'idées, mais le plus important est d'entendre exprimer ce que je me sentais si seul' à vivre).

Ces gens se battent pour nous tou's. Iels parlent de nous, iels expliquent qui nous sommes aux straights, sympathisant's ou pas de la diversité des expressions de genre, et aux autres queers, avant que leurs différences ne soient prises dans une nouvelle "normalité" où nous n'aurions pas de place.

Iels clament notre existence à la face du monde, pour que celleux d'entre nous qui se croient seul's fassent la même découverte que moi, le plus vite possible. Quand j'essaie d'estimer le prix d'une seule année gagnée sur ce désert affreux, j'ai le vertige. C'est ce qui me pousse à vous écrire ce soir, en espérant que quelque part, la souffrance d'une personne face à la norme soit allégée par ces quelques mots.


***

Je voudrais faire une remarque sur les trans et le titre de ce billet. Il m'arrive de penser "Changer de sexe ? Si seulement c'était aussi simple !" Or, qu'il s'agisse de changer de sexe, de genre ou les deux, être trans n'a rien de simple dans notre belle société ouverte et égalitaire.

Rien que "l'étape" consistant à obtenir de nouveaux papiers d'identité demande actuellement de passer plusieurs années sous sa nouvelle apparence, avec son ancien état-civil, ce qui crée des situations gênantes, pénibles, voire insupportables. Traverser une salle d'attente en jupe et talons alors qu'on a appelé "Monsieur Machin". Se faire humilier voire refuser des soins par des médecins transphobes ou simplement incrédules.

Ou être incarcérée dans une prison pour hommes, puis mise à l'isolement, cette terrible punition, de manière permanente afin de ne pas (ou de ne plus) se faire violer par les autres détenus. Mais toujours sans garantie sur le comportement des gardiens.

La peur omniprésente de devoir montrer ses papiers, d'être appelé' par le mauvais prénom. Les insultes, les coups, les viols. Les clichés, les questions débiles et indiscrètes. Les discriminations dans la rue, au boulot, à l'hôpital, face à nos ami's les flics, dans sa propre famille.

Bref, je ne me permettrais pas de prétendre que la vie des trans est facile. Je veux seulement dire que ma situation est dépourvue de "case d'arrivée". Même une "case d'arrivée" avec traitement hormonal à vie, au bout d'un parcours aussi long et pénible, est pour moi un rêve inaccessible.

Je serai toujours cet funambule, je ne pourrai jamais souhaiter qu'on m'appelle plutôt "Monsieur" ou "Madame". Je n'aurai jamais que des arguments immatériels pour répondre aux nombreux rappels à l'ordre "Nan mais arrête avec ça, tu es une femme un point c'est tout." et je n'aurai toujours que ma volonté pour lutter contre l'ensevelissement de mon identité sous l'évidence imposée du genre.

dimanche 9 janvier 2011

Je ne suis pas une femme

Je ne suis pas une femme, parce que je dis que je ne suis pas une femme.

Je ne suis pas une femme, parce que parmi les humain's né's avec un destin de femme, il en est maintenant, et j'en suis, qui sont suffisamment empuissancé's pour que ce dire soit totalement performatif, pour que le genre, qui n'est qu'une idée et son expression, se trouve détourné par cet énoncé.

Je ne suis pas une femme, parce que ces jambes poilues sont mes habits de non-femme ; parce que mon prénom réépicénifié : Adrien-ou-Adrienne, n'est pas un prénom sous lequel on peut trouver une femme. Bien sûr, ce n'est pas non plus un prénom sous lequel on peut trouver un homme, et ce visage glabre m'est un habit de non-homme.

Mes performances de genre sont faites de bidouillages, à partir de matériaux de récup' (je donne des cours de soutien : care - en mathématiques : cerveau-phallus) et autres (goût pour la provoc', caféïnomanie).

Je ne suis pas une femme. D'ailleurs mon numéro de sécu commence par une lettre, et dans les toilettes publiques, je choisis la porte ornée de l'icône ? .