Avec 1/5 de femmes parmi ses licenciés (et seulement 1/9 chez les adultes), le petit monde des échecs français n'a pas vraiment pris le tournant de la mixité.

Pourquoi les échecs sont-ils si peu mixtes ?

Puisque la question viendra de toutes façons, posons-la sans atermoyer : Qu'est-ce que les femmes n'ont pas ? Précisons crûment : Qu'est-ce que les femmes n'ont pas et qui, chez le joueur d'échecs, est ferme, volumineux et invasif ? Une fois la question posée en ces termes, la réponse s'impose d'elle-même : un ego. Un bon gros ego construit chez les garçons à coups de robots, de pistolets, d'encouragements à jouer des coudes jusqu'à la plus haute marche du podium tandis que les filles sont cantonnées dans le paraître et le care à grands renforts de poupons, de maquillage et de censure de l'autonomie.

Ce n'est pas faute d'essayer !

La FFE propose, avec une candeur qui serait touchante n'était la condescendance patente de ces efforts, toute une panoplie de catégories, championnats, prix et titres spécifiquement féminins, à côté des mixtes. En effet, explique la fédération, si aucune différence de performance intellectuelle n'est intrinsèque au sexe des joueurs, une énorme différence de participation entre les unes et les autres demande un correctif, apporté par la mise en valeur des meilleures joueuses et par des incitations à la participation des femmes.
Fort bien. Mais pourquoi alors, ce traitement de faveur est-il associé par tant de gens aux catégories de l'athlétisme, où le sexe des concurrents influe sur leurs performances ? Imaginerait-on, pour pallier à la sous-représentation des femmes aux postes de pouvoir, un recrutement mixte et un recrutement féminin, une élection mixte et une élection féminine ? Mais me direz-vous, dans ce cas on embaucherait ou on élirait deux personnes pour un seul poste, et l'une de ces personnes serait nettement moins légitime que l'autre. C'est exactement ce que je pense des championnats féminins d'échecs : on n'est ni champion ni championne quand dix ou vingt personnes sont mieux classées que vous.
Si jusqu'à présent les champions du monde d'échecs ont tous été des hommes, c'est qu'aucune des femmes qui auraient pu l'être (et sans doute peu des hommes qui auraient pu l'être) ne s'est consacrée aux échecs comme l'ont fait ceux qui ont obtenu ce titre. Pour remédier à cela, décerner des titres de pacotille est inutile ; le manque d'intérêt des femmes pour une activité à la fois compétitive, guerrière et égotique est directement lié au genre, c'est à dire à l'éducation qu'elles reçoivent et qui est faite pour les en détourner. Le genre masculin n'est pas pour autant exempt de critique : s'il est parfait pour encourager les hommes à jouer aux échecs, il les invalide dans bien d'autres aspects de leur vie.

La féminine de service

La seule mesure véritablement intéressante pour la parité prise par la FFE, c'est l'obligation faite aux équipes de présenter au moins une joueuse (les équipes de nationale 4 en sont dispensées car elles peinent déjà à aligner le nombre de joueurs requis). La pénalité en cas d'équipe entièrement masculine rend plus intéressant de traîner sa grand'mère aux matches pour faire acte de présence que d'ignorer cette obligation, avec pour conséquence effective une présence féminine qui n'existait pas avant.
L'on ne saurait toutefois se contenter de ce résultat. Depuis cette mesure, à quoi ressemble un match d'échecs ? Une longue rangée de tables, sur lesquelles alternent pendules et échiquiers. Devant ceux-ci, tout au long, des hommes. Au bas bout de la tablée, face à face devant le dernier échiquier, les féminines de chaque équipe. Bien sûr, elles aussi sont là pour apporter une victoire à leur équipe ; mais peu importe. N'était ce "F" sur leur carte d'identité, le club disposait de nombreux joueurs plus forts. Elles sont là, avant tout, pour éviter cette pénalité. Et si l'une d'elles ramène un point, ce sera seulement parce que le club d'en face n'a pas trouvé de féminine présentable à lui opposer.

Qu'est-ce qui ne va pas là-dedans ?

Pourquoi, en s'y prenant de la meilleure façon, n'arrive-t-on qu'à un résultat si médiocre, qui reste passablement humiliant pour celles qui en bénéficient ? La FFE est certes une institution sexiste, mais pas plus que le monde qui l'entoure. Une mesure contre le sexisme, isolée dans un océan de sexisme, ne peut pas résoudre le problème contre lequel on la dresse. Il faut, et pour des bénéfices bien plus larges que la parité aux échecs, commencer par donner aux femmes un ego qui réclame des victoires.
Vous regardez la fillette qui vous sourit mais ne vous tire pas par la manche pour garder à tout prix votre attention, et vous vous dites qu'être disponible pour les autres, c'est avant tout une qualité... Vous la ramassez après une chute, et vous vous félicitez qu'elle ne fasse pas de colère, au lieu de trouver qu'elle manque de persévérance et de l'encourager à recommencer son escalade... En classe aussi, elle aura droit à moins d'attention et on ne lui demandera pas non plus de persévérer : réussir n'est indispensable que pour les garçons.

Je pourrais continuer longtemps à raconter comment on fabrique des non-joueuses d'échecs, à peine de quoi recruter la féminine de service, et des joueurs d'échecs à la pelle, à partir de bébés habillés en rose ou en bleu. Mais je veux seulement dire : Arrêtez ! Faites-en des humains, rien que des humains.