L'enragé'

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Tag - normativité

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lundi 29 août 2011

Bousculer la norme - Le prix d'une identité choisie

Je me souviens de l'une de mes premières révoltes contre le genre. On m'a dit : "T'y arrives pas mal pour une fille". Puisque c'était un compliment, j'aurais dû être content', au lieu de quoi je poussai le manque de logique au point de me vexer et de me fâcher (les femmes sont notoirement inconséquentes et d'humeur capricieuse).

J'aurais préféré une appréciation moins positive, mais adressée à ma personne dans l'absolu. Impossible : les filles n'ont pas les mêmes capacités que les garçons, il faut bien en tenir compte pour évaluer leurs performances. C'est curieux, parce que les gens ont aussi des performances différentes suivant leur âge, et pourtant on n'a pas trouvé utile de préciser "pour ton âge".

Je pourrais m'étendre longtemps sur l'arbitraire du regard différenciateur porté sur les gens en fonction de "leur sexe". Ce que je veux raconter, c'est ce qui arrive quand on décide que la forme de son zizi n'a rien à voir avec les comportements qu'on va adopter en société, la façon dont on va se vêtir ou l'aune à laquelle on va accepter d'être jugé', et autres éléments de ce jeu de construction qui sert habituellement à produire une identité féminine ou masculine.

Quand on décide d'être soi comme personne avant d'être "femme" ou "homme" (l'assignation de genre frappe tout aussi durement celleux qui voudraient échapper au "masculin" qu'au "féminin", bien que "le féminin" constitue un handicap en lui-même), voire d'être soi tout court, on découvre un monde étrange, où rien n'est plus aisé que d'enfreindre "les lois de la Nature", mais où la facture que l'on vous présente aussitôt s'avère plutôt salée.

Même si cela peut sembler superflu, pour vous donner une idée du coût de la moindre entorse à la norme, je vais commencer par rappeler en quoi elle consiste ; ce qui est attendu de vous "en tant que femme" pour être considéré' comme normal' :

D'abord, vous devez vous percevoir et vous définir comme "femme". La féminité (ou la masculinité) étant hautement performative, se déclarer "femme" (ou "homme") est fondamental pour l'être. Cette première condition étant généralement validée de manière implicite par la réalisation de la seconde, c'est seulement quand on y contrevient formellement qu'on découvre son existence.

Deuxio, vous devez donner à voir des signes suffisamment clairs de "féminité" pour que les autres vous identifient immédiatement comme "femme". Remarquons au passage que cette compétence n'est pas une donnée si naturelle que ça : tout un apprentissage est nécessaire pour réussir cette identification, apprentissage dont le caractère obligatoire apparaît nettement dans l'effet comique produit par l'enfant de Allô maman ici bébé hésitant sur le sexe de Gorbatchev.

Enfin, vous ne devez pas présenter d'éléments trop exclusivement "masculins", même si ils ne gênent pas votre identification. Toutefois, si le port d'une robe ou de talons hauts constitue une infraction totalement gratuite et injustifiée à la performance de genre attendue d'un "homme", le port même systématique de pantalons est admis pour une "femme". Ainsi, certaines infractions ne seront sanctionnées que par une pitié paternaliste : la pauvre qui ne sait pas s'habiller, la malheureuse incapable de se résoudre à affronter le supplice de la cire...

Mais au-delà de cette marge de manoeuvre assez limitée, le sourire s'efface et la condamnation tombe : garçon manqué, femme à barbe, monstre de foire ! C'est pourquoi mieux vaut "passer" entièrement que partiellement, être perçu' comme d'un autre genre, mais bien répertorié, que laisser planer le doute. C'est le choix que faisaient les butch notamment aux Etats-Unis dans les années cinquante, quand le "travestissement" était un délit lourdement réprimé.

Quant à se soustraire à la première obligation, cela entraîne un autre type de sanction : non seulement on vous prête une santé mentale aussi incertaine que si vous prétendiez être Napoléon, mais bien sûr, on ne vous croit pas. Vous n'êtes toujours pas une personne avant d'être une femme, mais simplement "une femme qui dit qu'elle n'est pas une femme". L'incongruité de l'assertion est telle que tout le monde s'empresse alors de changer de sujet, avant qu'il ne vous prenne fantaisie d'affirmer que le cheval blanc d'Henri IV était rose fluo.

Bien sûr, ces sanctions ne sont pas aussi concrètes que celles qui sévissent encore hors du monde civilisé (plus pour longtemps, heureusement, car de bonnes âmes ont entrepris d'exporter nos moeurs policées chez les barbares). Mais pour les vivre, ces sanctions, je vais oser prétendre depuis mon insolent confort de privilégié' que cela revient pratiquement au même. Qu'une frontière invisible reste une frontière, et que la négation non seulement de votre identité, mais de tout sens à la revendication que vous en faites, peut être aussi douloureuse et destructrice qu'une lapidation.

mercredi 17 août 2011

Changer de sexe ? Si seulement...

J'ai toujours su que je ne voulais pas du genre féminin. Quand j'ai voulu faire plus que le repousser : le refuser, m'en débarrasser, j'ai d'abord essayé d'adopter le genre masculin. C'est ce qui viendrait à l'esprit de n'importe qui, non ? Mais j'ai rapidement compris que je ne voulais pas non plus des codes et des stéréotypes qui sont censés définir ce qu'est "un homme". Pas plus que de ceux qui représentent "une femme".

Quel choix me restait-il, alors ? Comment vivre, comment me présenter, quels codes donneraient aux gens le moyen de me voir tel' que je suis ? Petit à petit, deux constats me sont apparus.

Petit un : il n'y a pas de case pour moi. En tout, il n'y en a que deux, et peut-être, un peu, parfois, la possibilité de tracer une croix entre. Moi, je voudrais placer cette croix complètement ailleurs, dessiner une case en forme d'étoile ou de citron dans la marge du formulaire, sous la mention "moi, Spangle". Là, enfin, je pourrais la cocher.

Petit deux : d'autres gens éprouvent ça. Non seulement il y a des trans, mais les mots "intersexe", "intergenre", "gender blender", "gender fucker", "agenre", et bien d'autres, existent. Ce ne sont pas des mots de fiction, à propos d'hypothétiques habitant's de lointaines planètes, ce sont les mots que des gens ont forgés pour pouvoir se dire.

Des gens comme Leslie Feinberg qui me comprennent, n'ont pas de mal à penser qui je suis et savent où j'en suis, ce que je vis, ce que j'ai traversé pour en arriver là. Des gens qui disent tout ça exactement comme je veux le dire (mieux même parfois, avec plus d'idées, mais le plus important est d'entendre exprimer ce que je me sentais si seul' à vivre).

Ces gens se battent pour nous tou's. Iels parlent de nous, iels expliquent qui nous sommes aux straights, sympathisant's ou pas de la diversité des expressions de genre, et aux autres queers, avant que leurs différences ne soient prises dans une nouvelle "normalité" où nous n'aurions pas de place.

Iels clament notre existence à la face du monde, pour que celleux d'entre nous qui se croient seul's fassent la même découverte que moi, le plus vite possible. Quand j'essaie d'estimer le prix d'une seule année gagnée sur ce désert affreux, j'ai le vertige. C'est ce qui me pousse à vous écrire ce soir, en espérant que quelque part, la souffrance d'une personne face à la norme soit allégée par ces quelques mots.


***

Je voudrais faire une remarque sur les trans et le titre de ce billet. Il m'arrive de penser "Changer de sexe ? Si seulement c'était aussi simple !" Or, qu'il s'agisse de changer de sexe, de genre ou les deux, être trans n'a rien de simple dans notre belle société ouverte et égalitaire.

Rien que "l'étape" consistant à obtenir de nouveaux papiers d'identité demande actuellement de passer plusieurs années sous sa nouvelle apparence, avec son ancien état-civil, ce qui crée des situations gênantes, pénibles, voire insupportables. Traverser une salle d'attente en jupe et talons alors qu'on a appelé "Monsieur Machin". Se faire humilier voire refuser des soins par des médecins transphobes ou simplement incrédules.

Ou être incarcérée dans une prison pour hommes, puis mise à l'isolement, cette terrible punition, de manière permanente afin de ne pas (ou de ne plus) se faire violer par les autres détenus. Mais toujours sans garantie sur le comportement des gardiens.

La peur omniprésente de devoir montrer ses papiers, d'être appelé' par le mauvais prénom. Les insultes, les coups, les viols. Les clichés, les questions débiles et indiscrètes. Les discriminations dans la rue, au boulot, à l'hôpital, face à nos ami's les flics, dans sa propre famille.

Bref, je ne me permettrais pas de prétendre que la vie des trans est facile. Je veux seulement dire que ma situation est dépourvue de "case d'arrivée". Même une "case d'arrivée" avec traitement hormonal à vie, au bout d'un parcours aussi long et pénible, est pour moi un rêve inaccessible.

Je serai toujours cet funambule, je ne pourrai jamais souhaiter qu'on m'appelle plutôt "Monsieur" ou "Madame". Je n'aurai jamais que des arguments immatériels pour répondre aux nombreux rappels à l'ordre "Nan mais arrête avec ça, tu es une femme un point c'est tout." et je n'aurai toujours que ma volonté pour lutter contre l'ensevelissement de mon identité sous l'évidence imposée du genre.

jeudi 7 juillet 2011

Hétérosexisme et homophobie

L'homophobie ? Si l'on en croit le nombre de gens qui commencent une phrase par "Je ne suis pas homophobe", presque personne n'est homophobe. Hélas, le mot suivant est souvent : mais. "Je ne suis pas homophobe, mais..." Mais là c'est ma fille. Mais c'est pas naturel. Mais qu'iels élèvent des enfants, non. Mais je comprends celleux qui le sont. Mais je dis pédé quand j'en ai envie.

Si je suis en colère contre vous et que je vous traite de trader ou de préfet, j'affiche en même temps l'opinion selon laquelle il est déshonorant de l'être. L'homophobie, ce n'est pas seulement quand on traite un' homosexuel' de pédé, c'est aussi quand on traite Sarkozy de pédé. Ou quand on se récrie "Ch'suis pas un pédé !". L'usage tend à remplacer pédé (trop ouvertement homophobe ?) par enculé, et tout en le niant associe les deux mots.

Et là vous m'expliquez que oui mais non, vous quand vous dites ça, c'est de l'humour. L'adolescent' qui est passé' à portée d'oreille quand vous le disiez apprécie sans doute l'humour, mais ce qu'iel a entendu, pour la quinzième fois de la journée, c'est quelqu'un' qui considère infamant d'être homosexuel' et le clame. Le suicide est particulièrement fréquent chez les adolescent's ; il l'est trois à sept fois plus chez les adolescent's homosexuel's ou transgressant le genre. Cela ne fait pas de vous un' meurtrier', vous lui avez juste mis une claque de plus.

L'homophobie, c'est le rejet et l'agressivité envers les homosexuel's, soit directement, soit à travers des mots qu'on emploie parfois sans y penser. C'est des préjugés sur leur caractère ou leurs capacités, comme le sexisme qui commence par supposer les femmes faibles, bavardes, etc, et finit par en tirer des conclusions pratiques comme la condescendance galante ou l'habitude de leur couper spontanément la parole.

Et l'hétérosexisme ? C'est toute idée ou attitude fondée sur la primauté de l'ordre hétérosexuel et sexiste : ce qui est normal, c'est d'être un hétérosexuel. (Les femmes sont normales mais le masculin étant l'universel, elles viennent en second. Leur orientation sexuelle n'est pas importante, puisqu'elles sont d'abord objets d'une attirance hétérosexuelle.) Outre l'homophobie et le sexisme, l'hétérosexisme, c'est cette violence symbolique de supposer "en toute innocence" l'hétérosexualité partout où l'homosexualité n'est pas affichée. C'est faire de la réalité biologique de la conception plus qu'un détail technique et parler de "complémentarité des sexes".

L'hétéronormativité ? C'est le fait de trouver partout la norme hétérosexiste, sans y prendre garde quand justement on est "normal' ", et avec exaspération quand on ne l'est pas : il faut alors expliquer "son cas", se justifier, et finalement, vivre en permanence son écart à la norme comme un handicap. C'est cette normativité qui nous confronte à des formulaires où "notre" case n'existe pas ; quand la fiche de l'école part du principe qu'un' enfant a "un papa et une maman", les autres n'ont qu'à raturer, écrire dans les marges... et entendre qu'iels sont autres, hors-norme, c'est à dire anormaux.

L'hétéronormativité, c'est aussi le couple. Il est courant de demander à une jeune femme "si elle a un copain" ou à un jeune homme "si il a une copine", comme si iel était nécessairement hétérosexuel' et ne pouvait avoir qu'une relation de type couple. Le célibat étant pris en compte à titre d'accident de parcours et le libertinage, le polyamour ou une liaison purement sexuelle constituant des suppositions infamantes, surtout pour les femmes.

Admettez-le : vous êtes hétéronormé' et la plupart de vos comportements sont hétéronormatifs. Depuis le temps que j'essaie, je ne prétends pas m'être débarrassé du quart de mon hétéronormativité. Ce n'est pas un reproche, seulement une invitation à vous en soucier.

mercredi 30 décembre 2009

Les aventures du coït obligatoire #2 Du latex en branches

- Bonjour m'sieur-dame, est-ce que vous avez des carrés de latex ?
- Heu ?
- On dit aussi des digues dentaires...
- C'est quoi ?
- C'est pour les cunilingus.
- Ah. Heu non désolé' on n'en a pas...
Parfois illes ajoutent un peu crédible "en ce moment".

A la quatrième pharmacie, la dame ne savait pas non plus ce que c'était mais elle a tout de suite appelé son fournisseur pour se renseigner. Le fournisseur ne le savait pas plus ! Elle a insisté pour qu'ils se renseignent et m'a promis que sinon, elle demanderait à AIDS où ils se les procurent. Je lui ai expliqué que même si je pouvais en avoir là-bas, pour le principe, je souhaitais qu'on puisse en trouver en pharmacie. Elle était d'accord, elle ne voulait pas spécialement m'en vendre mais en avoir en stock.

Faut pas désespérer.

lundi 12 octobre 2009

Les aventures du coït obligatoire #1 Le coït, star du sexe

Si nous vendons quoi ? Des digues dentaires ? Carrés de latex ? Ah mais oui ça y est, je vois de quoi vous voulez parler. Non je suis désolé' Mademoiselle, nous n'avons pas cet article en stock à la pharmacie pour le moment. Ni jamais d'ailleurs. Si vous voulez avoir un rapport sexuel avec une personne dont la séronégativité n'est pas établie, allez vous faire mettre.

Décidément la vie n'est pas simple pour les non-straight. Oui, les lesbiennes, mais pas seulement après tout : est-ce qu'un rapport occasionnel hétéro devrait forcément signifier baise-capote ? Est-ce qu'être séropositif implique d'avoir une sexualité aussi pauvre ? Omniprésent, ce connard de coït. Tout le reste n'est que préliminaires, rien qui vaille par exemple de voir autre chose que des capotes dans les distributeurs de capotes.

C'est décidé, je fais le tour des pharmacies juste pour savoir si vraiment, elles ne sont pas foutues (encore un mot dont je vais me débarrasser) capables de fournir aux amant's autre chose que des digues dentaires à découper soi-même dans des capotes. Et pour faire un scandale si c'est le cas, parce que certes ce n'est pas de l'hétérocentrisme, ou pas seulement, mais le coïtocentrisme ce n'est pas mieux. La baise nique ta mère j'te la mets enculé salope j'en ai une grosse va te faire foutre. M'énerve quoi.

Tiens au fait, une nouvelle imprécation : Va foutre !

mardi 22 septembre 2009

Straight pride à Belgrade

Dimanche devait se tenir la deuxième gay pride de Belgrade. Après celle de 2001 qui s'était mal passée, rapport aux supporters de l'autre camp venus faire dédicacer leurs battes de base-ball, ce qui est tout de même étonnant pour des fans de foot. Ces derniers temps, les menaces de mort et autres polissages ostensibles de poings américains se sont multipliés.

Les autorités se sont d'abord engagées à protéger le défilé, puis ont saisi un prétexte minable pour se rétracter : un supporter français tabassé, c'est signe que ça va vraiment barder alors soyons raisonnables. Comme s'il n'était pas transparent que l'électorat homophobe compte plus à leurs yeux que les principes qu'ils affichent. Comme si les homosexuel's n'étaient en danger que lors d'une gay pride, comme si ce n'était pas à elleux de décider des risques qu'illes sont prêt's à prendre pour qu'elle ait lieu.

Au lieu du centre de Belgrade, la gay pride aurait donc dû se tenir dans une zone à l'écart, presque en rase campagne. Pour un symbole de lutte contre la ségrégation, c'est faire mouche. Les organisateur's ont décliné ces conditions et annulé la gay pride. La foule haineuse qui l'avait réclamé à corps et à cris crie victoire : illes ont même pu fêter ça entre "non-déviant's" à l'endroit où devait débuter le défilé. Personne n'est venu leur casser la gueule, et je sais que ce n'est pas comme ça qu'on résout les problèmes mais je me prends à le regretter.

mercredi 9 septembre 2009

Coming out

Je suis bisexuel' comme tout le monde, ce n'est pas un mystère. Quand je parle de coming out, c'est au sens de ne pas garder dans l'ombre tout un pan de ma vie, officiellement pour faire preuve d'une réserve de bon aloi, en réalité parce que les pratiques BDSM sont encore plus au placard que l'homosexualité, parce que l'amour vanille accapare la parole pour donner le mauvais rôle à son ennemi juré.

Cette réserve qui est un placard, je la quitte. Exhibitionniste de ma peau, de mon âme, exsangue après cette longue réclusion, je ferai encore pâlir vos mièvres simulacres, maintenant qu'ils ne sont plus défendus par un silence forcé.

vendredi 28 août 2009

Méfiez-vous des imitations

Par définition, lus-je trop jeune pour qu'aucune défiance envers les idées de Krafft-Ebing et consorts ne m'en prémunisse, par définition : le pervers n'aime pas. Et le pervers, c'était moi. Je devrais d'abord me défendre sur ce point, je ne le ferai pas. Peu m'importe le qualificatif, beaucoup m'importent les conclusions qu'on en tire, et surtout cette condamnation sans appel qui fut, à quinze ans, ma confirmation de paria.

On devrait retirer des bibliothèques municipales tous les ouvrages d'une psychiatrie périmée qui a déjà tant torturé au nom de la normalité, et continue à nuire jusque dans la perception que nous autres, sombres naufragé's, avons de nous-mêmes. Le premier livre que j'ai trouvé quand je cherchais à me connaître n'aurait pas dû être celui-ci, dont j'ai tout oublié sauf cette terrible phrase : le pervers n'aime pas. Même après avoir compris l'intérêt qu'une société peut avoir à asséner une telle horreur, et vu combien elle était fallacieuse, cette idée m'a poursuivi'.

J'aime ? Ou je crois aimer ? L'ai-je lu, l'ai-je déduit de cette prose putride, ce corollaire, évident : tout ce qu'on pourrait prendre pour de l'amour chez ledit pervers, qu'il pourrait lui-même prendre pour de l'amour, n'en est qu'une sordide imitation, comme le sont chez le chimpanzé ce qu'on prend pour des marques d'intelligence. Contrairement à la science, dont les affirmations portent leur propre réfutation potentielle, un tel propos ne peut être contredit. Pas plus ne peut-il être effacé.

Alors ? Peut-être que l'amour est une fiction bien réelle, que ne vivent pour de vrai que ceux qui croient la vivre. Peut-être qu'aimer, c'est d'abord s'en croire capable, nommer amour ce qu'on éprouve et relever en soi les doux souhaits qui en conforteront l'image plutôt que de se représenter ses mains soudain griffues d'un désir égocentrique, se tendant sans égard vers l'objet, ah, l'objet... bref. Peut-être qu'il suffit de le leur dire pour que ce soit vrai, et qu'après tout, puisqu'on le leur dit, les pervers n'aiment pas.

dimanche 28 juin 2009

Le mammouth est un animal à poils laineux.

C'est bientôt l'été, saison d'affrontements discrets mais rudes entre poilu.e.s et tondu.e.s. Entre peaux de poulets et peaux de singes. Soyons d'une partialité révoltante, c'est si bon : le singe est plus mignon que le poulet, sans parler de l'intellect.

Holà ça part mal, je n'arrive pas à rester sérieux plus de trois mots. Et j'ai pas pris de chiantos. Recentrons le propos.

Ce que je voulais vous demander, c'est : Vous en faites quoi de vos poils pendant l'été ? Je suis sérieux. Vous n'imaginez pas le nombre de gens qui partent en vacances sans eux, quitte à être plus que nu.e.s, ou plus nu.e.s qu'à poils, vêtu.e.s qu'illes sont d'une artificielle glabritude ? glabrité ? un truc comme ça. Et qui disent que les poils c'est sale. Et qui même paraît-il insultent les poilu.e.s à la piscine. Pas moi, illes n'osent pas.

Chacun fait ce qu'il veut, ouaip. Jusqu'au jour où ne pas s'épiler demande confiance en soi et surdité sélective. C'est laid un corps au naturel ? Peut-être parce que ça rappelle qu'on est des animaux, c'est choquant dans une société où les animaux sont maltraités sous prétexte de différence fondamentale avec l'espèce homo babylis. Peut-être que les femmes n'ont jamais vraiment obtenu le droit de montrer leurs jambes, leurs poils aux mollets qui sont l'apanage de la virilité.

A poil les nœuds ! Mouarf. Métonymie ? A poil seulement ceux qui ont des nœuds ?

vendredi 12 juin 2009

Rentable de jardin

Voilà longtemps qu'on ne me l'a pas posée, cette question qui revenait souvent il y a quelques années : ça sert à quoi les maths ?

Le peuple de Sarkozy tout entier hausse les épaules. Si il y a bien une discipline universitaire dont l'utilité n'est pas remise en cause, c'est les maths. Même la physique peut sembler suspecte d'improductivité, avec ses regardeurs d'étoiles ou de gluons sur le dos du contribuable, mais les maths c'est du sérieux. Tout le contraire de la poésie par exemple. La question ne se pose même pas, d'autant que la réponse risquerait de surprendre.

Aujourd'hui on me demande plutôt : elles servent à quoi tes études, dans le cadre de ton projet professionnel personnalisé d'insertion réussie sur le marché du travail vers un emploi stable et bien rémunéré ? (Je rallonge à peine et ne souscris point à l'implicite évidence d'un tel projet.) La réponse n'a pas changé : à rien m'sieurs-dames, à rien qui serve à quelque chose.

dimanche 29 mars 2009

Hors des cases

Plusieurs costumes : étudiante la journée, j'ôte dans le bus du matin mon costume de super maman pour le remettre le soir. Arriver en cours pour 8h, en amenant mon fils à la gare à moins cinq, c'était mes débuts dans l'ubiquité. Un vélo, ma cape... (note pour ceux qui veulent tenter le coup : prévoir un vélo avec des freins).

Plusieurs casquettes, souvent : étudiante et salariée, j'ai fait ma rentrée pendant mes vacances puis manqué un mois pour finir mon BP. Les profs sont humains, vous savez. C'est aussi pour ça que le gouvernement les hait. Étudiante et prof dans la même promo, mon meilleur gag : des enseignements transversaux m'avaient été confiés ; j'ai repris mes études la même année. Une sorte de casquette de Moëbius.

Plusieurs chances aussi : étudiante et maman, étudiante en maths avec un bac littéraire, je sais mieux que personne pourquoi je suis là. Pour me faire cet immense cadeau : pouvoir apprendre, sans me laisser arrêter par les détails matériels ou les lacunes, sans chercher à rentabiliser ce temps, apprendre simplement parce que c'est ce que je veux vraiment.

Tout ça, juste pour dire que je ne pourrai jamais cocher une seule case. Le monolithe qu'est une personne regardée à travers une grille. C'est absurde. Arrêtez.

dimanche 22 mars 2009

Et si on arrêtait vraiment de parler homophobe ?

Enculé !
Pourquoi devrait-il être insultant de supposer que quelqu'un pratique passivement la sodomie ? Si c'est salaud que vous voulez dire, eh bien dites-le : Salaud !
Pédé, tapette, et j'en passe, sont employés parce que considérés comme plus insultants, et sont pourtant plus faciles à dire que les qualificatifs qui seraient vraiment adaptés. Traitez quelqu'un de lâche, par exemple, et vous verrez si cela l'affecte moins. De lâche, de traître, de salaud, d'abruti,... soyez précis, le vocabulaire ne manque pas.
Vous pouvez aussi retourner le problème, en décidant d'utiliser d'autres mots comme insultes : pauv' Sarko, espèce d'UMP, sale trader, retourne dans ton paradis fiscal !

lundi 26 janvier 2009

Rêve de princesse, vie de cauchemar

Savez-vous pourquoi les femmes se maquillent et se parfument ? Parce qu'elles sont moches et qu'elles puent. Pourquoi cette blague me fait-elle rire ? Parce qu'effectivement, se maquiller et se parfumer n'a pas tellement de sens.
Sauf à supposer que c'est naturel pour les femmes. Et en effet, il existe un atavisme : la guenon en chaleur a la vulve qui gonfle et rougit pour attirer les mâles. Mais nous ne sommes pas des singes. Nous avons rompu avec bien des comportements animaux, et celui-là ne me semble pas avoir plus de raison qu'un autre d'être maintenu.
Chausser les lunettes du genre permet d'expliquer ces comportements, non par la nature mais en voyant que les femmes, par leur éducation, par la façon dont se construit leur personnalité, sont poussées (pour ne pas dire contraintes) à ces absurdes obscénités cosmétiques. Avec pour conséquence de faire d'elles des sortes de poupées, de simples jouets. Mais pourquoi est-ce qu'elles acceptent ça ?!

Il faut souffrir pour être belle, me disait ma cousine un jour de mon enfance, en me tirant sur les cheveux avec application. Si c'est comme ça, je ne tiens pas à être belle, pensai-je, et je trouve toujours cette phrase aussi stupide. Ce que j'ai appris depuis, c'est combien elle était dangereuse. Combien "se faire belle" était attendu des femmes par la société toute entière : C'est une question de politesse. Je ne pourrais pas sortir dans la rue sans être maquillée. Comme elle est mignonne cette petite avec sa belle robe, on dirait une princesse ! (Souvent à la troisième personne, ce genre de compliment : être une chose, ça s'apprend.)
En grandissant, j'ai vu ces rengaines qui n'avaient pas prise sur moi se changer en Tu pourrais faire un effort. On m'offre du parfum, des bijoux. Je pourrais faire un effort, évidemment. M'apprêter pour plaire au sexe laid... heu non, ça ne doit pas être comme ça qu'on dit. Mais au fait, est-ce que je veux plaire, et qui a dit que je ne plaisais pas ?
Dites plutôt que je déplais : je refuse d'être un objet, et ça froisse, d'abord toutes celles qui jouent le jeu, elles souffrent pour être belles alors merde, je pourrais au moins respecter ça. Et puis tous ceux qui tiennent à ce que les femmes jouent le jeu. Beaucoup de monde. Faut être gonflée pour ne pas s'y plier. Mais t'as raison, Jacquot : vaut mieux être gonflée que gonflable.

mercredi 14 janvier 2009

Ces sales fumeurs

A l'époque où j'ai commencé à fumer, avant d'allumer ma clope sur un banc en plein air, je demandais à mes voisins de banc si ça les dérangeait. Depuis quelques années, la réponse est oui, systématiquement. Alors je ne demande plus, je l'allume et tant pis pour les asthmatiques. Non d'ailleurs : rien que l'idée d'avoir un voisin de banc probablement aussi consensuel - quoique pas très sensuel - m'écœure, et je me lève pour aller fumer plus loin.

En allumant une clope, je me demande généralement si je risque de déranger quelqu'un. Puisqu'on me le dit, que je dérange... Par contre, ma voisine de bus ne se demande pas ce que la demi-bouteille de parfum qu'elle s'est versé dessus fait à mon odorat délicat. Chère voisine de bus, apprenez ici si vous me lisez jamais, qu'après avoir supporté votre envoûtante compagnie j'ai l'impression d'avoir bu du parfum. Et si je n'en mets pas ce n'est pas pour en boire.

Nous sommes six milliards de gens sur cette planète, ça commence à faire beaucoup, on a du mal à se supporter. Alors au petit bonheur, on s'attaque à un groupe de personnes pour donner l'impression d'œuvrer en faveur des autres. On les conspue, on les aide (à arrêter bien sûr), on les taxe, on les met dehors, on édicte des règlements sadiques de ridicule. Je vous assure : le plus dur à supporter là-dedans, c'est combien c'est ridicule.

Mais c'est pour notre bien ! Je ne savais pas, mais nous les fumeurs on a besoin d'aide. D'abord parce que, c'est connu, le fumeur est bête : vous pouvez lui dire et lui répéter que c'est mauvais pour sa santé, il n'a pas l'air de s'en rendre compte. Et surtout, parce que le fumeur est veule : il veut arrêter, il décide d'arrêter, en attendant il fume toujours. Il a sûrement besoin qu'on l'aide à arrêter, d'ailleurs c'est marqué partout : faites-vous aider, nous savons combien vous êtes faible devant la cigarette. Des fumeurs qui ne veulent pas arrêter, ça existe ? Ben y a moi déjà... je suis frileux, mais je déteste qu'on me dise ce que je dois faire.

lundi 12 janvier 2009

Les idées propres

Prenez trois personnes qui discutent. L'une d'elles prétend qu'il est indispensable de se laver tous les jours, sinon c'est dégoûtant. Les deux autres sont loin du compte, mais chacun garde le silence, de peur de donner une mauvaise image de lui. Ils iront même jusqu'à acquiescer mollement si l'autre insiste. Tous trois repartent persuadés que les autres se lavent tous les jours, alors que c'était le comportement minoritaire.

Prenez deux randonneurs qui cassent la croûte ensemble. L'un fait tomber les cinq derniers centimètres de son sandwich dans l'herbe. Seul, chacun des deux aurait ramassé et terminé son sandwich. C'est juste de la terre, faut pas déconner. Mais là, non.

Voilà un bel exemple de faux consensus, il y en a d'autres. Je vous laisse chercher, je vais prendre mon bain hebdomadaire.