- Vous avez un emploi, Monsieur Lebowski ?

- Un quoi ?

Je voudrais vous parler de la peur. C'est un sentiment qui a son utilité, mais qui peut nous empêcher prendre de prendre les bonnes décisions. Avoir peur qu'un événement arrive est une chose, avoir peur de ce qui pourrait arriver en est une autre. Quand on a peur de quelque chose sans relativiser, quand on pense juste "Si ça arrive..." sans terminer la phrase, on se comporte comme si ce que l'on redoute était pire que tout.

Il me semble qu'une peur irrationnelle très répandue est celle de la perte d'emploi, ou de la pauvreté. Je ne dis pas que c'est une situation agréable, ni même bénigne. (Loin de moi l'idée de cautionner ainsi un gouvernement qui crée la pauvreté : comme son intérêt est aussi de créer la peur de la pauvreté, j'estime au contraire que je lui casse la baraque.) Mais au-delà d'une peur raisonnée des situations réelles que cela pourrait engendrer, je dis que les gens, beaucoup trop de gens, redoutent d'en arriver là plus qu'ils ne le devraient. Ce billet s'intitule une époque formidable, parce que ce film est un excellent exemple du scénario catastrophe qui prend dans notre esprit la place d'une anticipation rationnelle des conséquences d'une perte d'emploi.

Comment peut-on se suicider à cause d'un boulot de merde, au lieu de simplement démissionner ? Vous trouvez ça stupide ? Oui, ça l'est. Et pourtant ça arrive. J'ai compris comment, après avoir travaillé deux ans dans une ambiance oppressante de stress et de non-dits malsains, incapable de prendre la seule décision sensée : démissionner. Si je suis là pour vous en parler, ce n'est pas parce que j'ai trouvé une solution miracle. J'ai quitté ce travail, et ça n'a pas raté : je suis devenu chômeuse et pauvre. Et alors ? Et alors ? Eh bien rien de plus. Je suis vivante, je vais bien. Pendant six mois, j'ai mangé des pâtes premier prix, fait des trajets à pied pour économiser le ticket de bus, fait la queue dans toutes sortes d'endroits, usé mes vêtements jusqu'à la corde,... et retrouvé le sourire ! Ces tracas ont été un vrai nirvana comparé à mon odieuse situation précédente. Voilà ce que je voulais vous dire : on peut quitter un emploi qui ne nous convient pas. Ce n'est ni stupide ni suicidaire, au contraire. Un travail de merde n'est pas une fatalité, le chômage n'est pas mortel, c'est la peur du chômage qui peut l'être.

La vie est un don merveilleux. La respecter, c'est aussi ne pas accepter n'importe quoi. Surtout quand on a le choix. Vous n'allez peut-être pas me croire, mais vous avez le choix.