C'est comme un texte écrit en russe ou en arabe ; je vois des mots mais aucune voix n'en sort. Pourtant sur la page, c'est mon écriture. Je ne peux plus lire mon journal intime, j'ai oublié l'ASMAG.

Inventé au collège, mon "alphabet super mémorisable anti-garçons" n'a eu aucun succès ; les filles de ma classe entretenaient avec les garçons des rapports plus sereins que moi, victime désignée par leur soif de conformisme de tous les mauvais coups que l'ennui suggère aux collégiens. Je l'ai gardé pour moi, utilisé pendant une dizaine d'années, jusqu'à ce que j'aie assez d'intimité pour m'en passer.

Je me souviens que j'avais tiré les conséquences du déchiffrage de Sherlock Holmes et brouillé la fréquence d'apparition des lettres ; qu'elles étaient celles de notre alphabet avec une forte déformation, afin de les trouver facilement sous sa plume sans permettre au non-initié de les reconnaître.

Je sais aussi que j'ai écrit en ASMAG mes pensées les plus tourmentées : inquiétude amoureuse, horreur de la condition mortelle, vertige de solitude. Peut-être vaut-il mieux ne pas lire ces mots qui témoignent du présent d'une autre vie plus que d'un passé qui m'appartiendrait. En quoi ce journal intime me regarde-t-il ? Moi qui suis aujourd'hui ce non-initié.