Richard Brautigan était déjà un de mes auteurs favoris avant que je lise La pêche à la truite en Amérique. L'un' de mes persos de jeu de rôle s'est appelé' Fred Brautigan et je l'en ai aimé' beaucoup plus. Maintenant que j'ai lu La pêche à la truite en Amérique et Sucre de pastèque, ce billet que je comptais écrire un jour est devenu indispensable.

Comment vous dire ça ? Vous marchez tranquillement, l'air est doux. Vous faites un pas de côté et la façon dont les choses se montrent à vous est différente. Elles se mettent à vous parler avec gentillesse. Les pianos à queue passent au vert juste quand vous arrivez devant. Ou si ils ne le font pas, ils vous expliquent : "Désolé, faut que j'attende encore un petit peu avant de changer de couleur. Vous voulez que je vous joue quelque chose ?".

Et là vous réalisez que vous avez tout votre temps, parce que le temps, vous savez. Le temps d'un livre. Le temps que le soir tombe sur un couple de pêcheurs qui apportent au bord de l'eau tous les meubles de leur salon, il se passe tellement de choses. Un gosse passe devant un snack-bar, et comme il n'a pas faim il s'achète des balles à l'armurerie d'à côté. Mais il n'est pas tout à fait absent du snack-bar ; il aurait pu s'y arrêter et la balle aurait pu rester dans sa boîte et la boîte, à l'armurerie, pendant que la serveuse aurait essuyé le comptoir du snack-bar en pensant aux coïncidences de sa vie. Le temps d'écrire un livre à l'encre de pépins de pastèque, sur ces feuilles de bois qui sentent bon et que Bill a taillées à la fabrique d'échandolles.

Un truc que Brautigan fait vraiment bien, c'est les comparaisons. Elles sont neuves tout en ayant l'air d'occasion : vous en lisez une et vous vous demandez où vous avez bien pu voir cette sacrée comparaison la dernière fois. En voici deux que j'ai recopiées de Mémoires sauvées du vent :
Je colle mon oreille au passé comme si c'était le mur d'une maison qui n'est plus.
Le vent s'était éteint, faisant de l'étang une surface aussi lisse et calme que du verre endormi.

Dans La pêche à la truite en Amérique, elles sont plus loufoques :
Là, le ruisseau était doux et s'étalait dans l'herbe comme la panse d'un buveur de bière.
L'emplacement n°4 avait une grosse table en bois équipée de bancs fixes, comme ces anciens lorgnons à la Benjamin Franklin, ceux qui ont des drôles de verres carrés. Je me suis assis sur le verre de gauche, face aux monts Sawtooth. Tel l'astigmatisme, j'ai fait comme chez moi.

Ce qui est bien, avec Brautigan, c'est que plein de choses sont possibles, naturelles, comme acheter un ruisseau à truites au mètre, avec les animaux en supplément et possibilité d'avoir une cascade, mais pas toutes les choses sont possibles : seulement les jolies, celles dont on prêterait volontiers l'idée aux gosses, mais qui viennent plutôt, je crois, des poètes.