L'enragé'

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Tag - psychiatrie

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mercredi 23 février 2011

Encore une loi sécuritaire qui risque de passer inaperçue

Masqué par une appellation toute séduisante : « Projet de loi relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge », il a été adopté au Conseil des Ministres du 26 janvier 2011 et va être débattu au Parlement au printemps.
Trente mille personnes ont signé l’Appel contre La Nuit Sécuritaire, lancé en réaction au discours du président de la République le 2 décembre 2008, qui assimilait la maladie mentale à une supposée dangerosité. À nouveau, le Collectif des 39 en appelle à l’ensemble des citoyens.
Ce discours promettait un traitement sécuritaire des malades mentaux. Il a depuis largement pris corps dans la pratique quotidienne : les lieux de soins psychiatriques sont désormais truffés de caméras de surveillance et de chambres d’isolement, des grillages ont été disposés, des protocoles de neutralisation physique des patients ont vu le jour, les préfets empêchent les levées d’internements caducs.

Un projet de loi propose aujourd’hui un cadre juridique à cette dérive sécuritaire. Adopté le 26 janvier 2011 en Conseil des Ministres, il sera discuté au Parlement le 15 mars après un simulacre de concertation.
- Dans un vocabulaire relevant du code pénal, il cautionne la défiance à l’égard de citoyens souffrants.
- Dans ce dispositif, seul le trouble à l’ordre public est pris en compte.
- Il instaure un changement paradigmatique sans précédent : l’institution des « soins » sans consentement en ambulatoire.
En effet, le projet de loi n’identifie plus seulement l'hospitalisation comme contraignante, mais les soins eux-mêmes, à l’hôpital comme à l’extérieur, avec le risque majeur de la mise en place d’une surveillance sociale planifiée.
Ainsi, pour répondre à l’inquiétude légitime des patients et de leurs familles, ce projet de loi, sous couvert de déstigmatisation, va instituer une logique de dérive sécuritaire induisant un contrôle inédit de la population. Il s’appuie sur un principe de précaution inapproprié.

La mystification est totale : Il ne s’agit pas d’un projet de soins, mais d’un engrenage portant atteinte aux libertés fondamentales dans un état démocratique. Prétendant améliorer « l’accès aux soins » et leur « continuité », ce projet propose uniquement un accès à la contrainte sans limite de durée. Il détourne la fonction des soignants vers une orientation de dénonciation, de rétention, de « soins » sous contraintes et de surveillance.
Il impose aux patients d’accepter des « soins » stéréotypés, protocolisés, identiques pour tous. Ils seront sous surveillance, associée à un contrôle de leur dignité : ainsi se met en place une police de l’intime. Il instaure un fichier national, « un casier psychiatrique ? », de toute personne ayant été soumise ne serait-ce qu’une seule fois aux soins sans consentement.
Il institue un mensonge en laissant penser que seuls les médicaments psychotropes administrés sous contrainte suffisent à soigner les patients gravement atteints : enfermés chez eux, malgré eux.
Une partie des citoyens a été désignée à la vindicte médiatique. Le mot schizophrène, jeté à tort et à travers, en bafouant le secret médical, n’est plus un diagnostic mais une menace, qui accable les malades et leurs familles, effraie jusqu’à leur voisinage. Penser que ce projet de loi va améliorer cette situation est une déraison d'État.
Bien plus, il risque de s’opposer frontalement à toute réforme sanitaire digne de ce nom, qui aurait pour principes élémentaires de reposer sur une fonction d’accueil, une logique ouverte et déségrégative, des thérapeutiques diversifiées, centrées sur le lien relationnel et la confiance, dans la durée.
Ce projet va à l’encontre d’une politique de soins psychiatriques respectueuse des libertés, offrant une hospitalité pour la folie au cœur du lien social, qui allierait sécurité publique et soins à la personne.
Il institue la défiance envers les professionnels dans une démarche politique analogue à celle appliquée récemment aux magistrats et à la Justice, comme à d’autres professions.
- Nous voulons que les budgets subventionnent des soins et non des aménagements carcéraux, la formation des personnels, des effectifs conséquents, pour une conception humaine de l’accueil de la souffrance.
- Nous rejetons les réponses démagogiques qui amplifient délibérément l’émotion suscitée par des faits-divers dramatiques. Ces réponses ne font qu’accroître et entretenir la peur de l’autre.
- Nous voulons résister, nous opposer, avec une élaboration citoyenne de propositions pour une politique de soins psychiatriques au plus proche des réalités de terrain. La psychiatrie est l’affaire de tous.

Nous soignants, patients, familles, citoyens appelons au retrait immédiat de ce projet de loi. Signer la pétition

Source : Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire

lundi 5 octobre 2009

Asiles

Qu'est-ce qu'un' malade mental' ? Quelqu'un' qui promène ses pieds trop lourds dans votre quartier en marmottant tout' seul' ? Ce type aux immenses yeux doux qui vous tend une invitation pour rencontrer Notre Seigneur mercredi autour d'une tisane ?

Les psys ont dû bondir quand Goffman a proposé sa définition du malade mental : quelqu'un' qui s'est laissé' happer par l'engrenage d'un hôpital psychiatrique. Voilà où est la différence : ellui est dedans, vous, dehors. Sain' d'esprit ? Tou's les fous et folles disent ça. Qui c'était avant ne changera rien à l'air d'être fou qu'ille aura quand vous le ou la croiserez. Son odeur d'hôpital, la chimie lourde qu'on lui fourgue, les maniaqueries que la routine du service lui aura inculquées, plus sûrement.

Mais non voyons, je plaisantais. Les fous sont fous, c'est bien connu. D'ailleurs ce Goffman...

lundi 12 janvier 2009

La pornographie de l'âme

Les cadavres de la morgue, les folles de Charcot, voilà qui passionne Mayeul Magnus. De beaux sujets pour ses compositions. Cœurs sensibles, s'abstenir. Le tableau est calculé, millimétré, le sujet froid ou refroidi, tandis que sous la robe de l'appareil Mayeul bouillonne de frénésie photographique. Dans une mise en scène macabre et sensuelle qui en choquera plus d'un, Valérie Tordjman nous propose un portrait fascinant :

Toute la semaine, je photographie les cadavres de la morgue confiés aux soins de Lequeu avant que les gardiens n'exposent, derrière une vitre, ces inconnus à la reconnaissance de leurs proches. Avant que des hordes de gamins friands de poitrines dénudées, d'ouvriers cassant la croûte, de rentiers désœuvrés, de femmes du monde parfumées et de petites grisettes en mal de frissons ne me les disputent. Car le public s'ébruite ici comme au spectacle : il pleure, bat des mains et commente sans gêne ; hommes, femmes, tous se rincent l'œil, certains même se branlottent, excités par la proximité de la mort : leur désinvolture gâche la tendresse que j'éprouve pour ces corps sans nom. Je le sais, ils n'appartiennent à personne pourtant ils me parlent.

Rares sont les jours où je quitte mon travail, mais le dimanche, d'impatience face à ces indécentes histoires d'amour nouées sous mes yeux, je fuis la pointe de l'île de la Cité et la rue d'Enghien, où j'habite un sixième étage peuplé de domestiques, de petites blanchisseuses et de filles. Loin du ronronnement des machines frigorifiques, du ruissellement des eaux teintées de sang, je m'en vais flâner au Bois ou canoter. Tout plutôt que d'affronter la cohorte des badauds irrévérencieux préférant à la foule bigarrée des grands boulevards le spectacle gratuit des dépouilles - pendus noircis, surinés aux chairs béantes, noyés bouffis aux yeux vitreux repêchés dans la Seine, bras et jambes sans corps, corps sans tête - qui font les choux gras des gazettes à sensation.

Je reviens à mes morts la gîte au corps avec une impression irréelle de naufrage. Je suis jaloux de leur exposition, des morgueurs qui les lavent à grande eau, du frottement des balais sur leur peau et leurs os, bizarrement, des dalles, aussi, qui ne gardent aucune empreinte de leur passage ; et des visiteurs, oui. D'eux, je déteste les lèvres qui baisent le châssis vitré, les mains sales qui le touchent, les fronts qui s'y écrasent dès que j'ai le dos tourné. En fin de compte, je n'aime pas non plus mes sorties dominicales.