Un jour, j'ai vu deux types s'empoigner devant la librairie. L'un cherchait à s'expliquer tandis que l'autre cognait. Et quels coups ! Un terrible boxeur. Je me suis interposée entre ces bras gros comme mes cuisses et leur cible pacifique, essayant d'aider les excuses et justifications du jeune homme en sang à parvenir aux oreilles de son ancien ami : de l'argent prêté, un départ précipité, une enveloppe qui contenait la somme due mais n'avait pas été ouverte,... le malentendu aurait pu se dissiper aisément.
Vingt, trente personnes assistaient à l'incident. Avec l'aide de quelques unes, je pouvais empêcher l'agresseur de frapper, le forcer à écouter son ami. Mais mes appels à l'aide ne reçurent aucune réponse. Les gens avaient appelé la police, maintenant ils attendaient, prêts à intervenir si... Si quoi ? Des coups dont le moindre m'aurait assommé, ce n'était pas une raison d'intervenir ?
Par-dessus ma tête, les imprécations continuaient à fuser. Pendant dix longues minutes, je ne pus que m'interposer. Dès que je cessais de faire barrage, les coups recommençaient. Seul le machisme du boxeur me protégea de ses énormes poings, il n'osa pas aller au-delà de bourrades -dont l'une me projeta tout de même au sol, à plusieurs mètres. Quand l'arrivée de la police fut imminente, il s'éloigna enfin, promettant à l'autre de se venger plus tard.
La foule se dispersa lentement, avec cet air de regret si méprisable du spectateur insatisfait. Je repris mon poste, la tête encore pleine du tumulte de l'altercation. Une, deux trois personnes vinrent l'une après l'autre, penaudes, me remercier d'avoir agi à leur place. Bien sûr, les autres n'étaient pas moins lâches qui ne se reprochaient rien. Mais si je n'ai pas accueilli ces excuses avec les froids reproches qu'elles méritaient, c'est ce que je ferais aujourd'hui. Et même si ces personnes avaient pu, après coup, m'apporter un peu d'aide (comme c'est le cas aujourd'hui avec ceux dont je parle en réalité - se reconnaîtront-ils ?) je ne saurais leur en être reconnaissante. Non décidément, aucune sollicitude n'excuse ni ne rachète la lâcheté.