L'enragé'

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Tag - BDSM

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dimanche 8 novembre 2009

Le BDSM #1 De quoi s'agit-il ?

Ce billet est le premier d'une série sur le BDSM. Le sujet étant abordé presque exclusivement entre adeptes, la plupart des gens en sont réduits à s'interroger sur l'écart entre les pratiques réelles et les encadrés publicitaires qu'on trouve dans les journaux de petites annonces, quand ils s'interrogent. J'espère que ce billet vous intéressera et vous permettra d'avoir une idée plus juste de cet univers. Je compte beaucoup sur vos questions et vos critiques pour l'améliorer.

Vous savez sans doute déjà qu'il ne s'agit pas des Bandes Dessinées de Sa Majesté. Mais qu'est-ce au juste que le BDSM, et quels liens entretient sa pratique concrète avec l'imagerie qui lui est associée ? Avant de tenter de répondre à cette question, je vais prier les mineur's de ne pas lire la suite : c'est choquant, pervers, dangereux pour votre équilibre de futur's hétéros monogames à coït hebdomadaire, bref, allez vous faire un lait-fraise. Voooiilà.

BDSM sont les initiales de Bondage et Discipline, Domination et Soumission, Sado-Masochisme. Je vais vous expliquer en détail chacun de ces termes, au risque d'une légère redondance car ceux-ci se recoupent quelque peu. Pour compléter ces explications, je détaillerai ensuite quelques aspects du BDSM (selon une vision éventuellement assez personnelle) dans un petit lexique.

  • BD : deux sortes de liens

Bondage : héritier de la tradition martiale japonaise du shibari, art de lier un' prisonnier' en un tour de main dans le respect de l'étiquette (les liens traduisant à la fois le rang social du/de la prisonnier' et le motif de sa capture) le bondage consiste à transformer le corps d'une personne en un joli paquet, éventuellement suspensible, à l'aide de cordes et sans faire de nœuds.
Discipline : (on trouve parfois Dressage) celle-ci n'est nullement associée au bondage, et tout comme lui, il s'agit d'une simple option. Dans beaucoup de rôles BDSM, la domination est marquée par l'obéissance (ou une exigence d'obéissance à laquelle la / le dominé' ne satisfait pas, donnant ainsi prétexte à des punitions) et/ou par des attitudes et des postures, parfois savamment codifiées. Comme pour le bondage, il s'agit de liens, d'entraves non plus matérielles mais imaginaires, avec pour ancrage dans le jeu la capacité supposée, jouée, du/de la dominant' à imposer des restrictions à la liberté de mouvement du/de la dominé'.

  • DS : le jeu proprement dit

La domination/soumission est centrée sur les rôles et les situations plus que sur les sensations. Elle se nourrit pour beaucoup de mots et d'idées ; ainsi, elle se prête assez bien à la correspondance. Contrairement à ce que nous vivons IRL (in ze riel laïf : dans la vraie vie, c'est à dire hors de rôles explicitement définis), les rôles de dominant' ou de soumis' sont préalablement définis à notre convenance. On peut, c'est même vivement conseillé, se choisir ensemble un safe word et surtout discuter, avant, après ou même pendant, de ce qui nous plaît ou pas et pourquoi, de ce qu'on aimerait faire et comment, exactement comme c'est bien pour les amant's de discuter de leurs activités subcouettales.

  • SM : Sade et Sacher-Masoch

Sado-masochisme est initialement un terme de psychiatrie construit d'après les noms de Sade et de Sacher-Masoch. Hors de son acceptation principale, qui est l'attrait pour des sensations douloureuses, cette référence se révèle fort problématique.

Chez Sade, les protagonistes de Justine ou de la Philosophie dans le boudoir ne cherchent, hommes, qu'à jouir des femmes, femmes, qu'à jouir d'autres femmes avec des hommes (avant de subir le même sort) et ne demandent pas l'avis de leurs victimes. Si Léopold von Sacher-Masoch décrit dans la Vénus à la fourrure quelque chose qui se rapproche plus du BDSM tel qu'il est effectivement pratiqué, c'est avant tout pour une raison pratique : on ne peut imposer à autrui un rôle de dominante aussi unilatéralement que l'on soumet quelqu'un' par la force.
Sacher-Masoch comme Sade décrivent des êtres qui se moquent totalement de savoir ce qu'éprouvent leurs partenaires et même d'obtenir leur consentement. Tant qu'il s'agit de fantasmes et de littérature, c'est acceptable comme Lolita est acceptable, mais il est important d'avoir à l'esprit que l'équivalent de ces textes dans une sexualité réelle serait tissé de viols, d'abus et d'instrumentalisation des partenaires.
J'insiste : il faut bien dissocier les écrits de Sade et Sacher-Masoch du BDSM réel qui n'a pas leur caractère immoral, sans quoi l'association de nos pratiques à ces deux noms constituerait une raison aussi puissante que fallacieuse pour nous considérer comme de dangereu' pervers'.

Lexique

Donjon : lieu spécialisé dans le BDSM, non nécessairement sis dans la plus haute tour d'un vieux château. L'ambiance gothisante de cave voûtée éclairée aux flambeaux, ornée de divers équipements (lourds anneaux métalliques aux murs, cage, matériel de suspension), plaît à beaucoup, pas à tou's. Il existe des donjons proposant des soirées, et des donjons "privés" appartenant, pour ce que j'en sais, à des dominant's professionnel's. Rien ne vous empêche toutefois de baptiser "donjon" les installations que vous aurez bricolées dans votre sous-sol.

Dress-code : degré de spécialisation dans la tenue exigée lors d'une soirée BDSM ; il est suggéré aux participant's de se vêtir de cuir, de latex ou de vinyl. En réalité des vêtements noirs ou une robe de soirée seront acceptés la plupart du temps.

Fétichisme : investissement érotique de matières (cuir, vinyl, latex) d'objets (chaussures ou bottes, costumes et accessoires thématiques) ou de parties du corps (le pied). Si on peut être fétichiste de tout et n'importe quoi (la laine par exemple), le terme fait en général référence soit au fétichisme du pied, soit à des vêtements noirs, parfois rouges, dans les matières citées.

Milieu : la blogueuse Aurora (qui semble malheureusement avoir disparu de la toile) pestait avec justesse contre un certain microcosme parisien qui dicte "la" bonne manière de pratiquer le BDSM. Chacun' est libre de se reconnaître ou pas dans l'esthétique donjonesque, le dress-code cuir-vinyl-latex ou le parcours de dressage complet façon Histoire d'O, comme d'adapter les idées qui lui plaisent et de vivre ses propres expériences.

Radiateur : tarte à la crème des plaisanteries simplistes, le radiateur ne fait pas, mais alors pas du tout partie des objets investis érotiquement par celleux qui pratiquent le BDSM. C'est juste que... tout le monde n'a pas un donjon à sa disposition. Dans un appartement ordinaire, non seulement le plafond n'est pas prévu pour accueillir un système de suspension digne de ce nom, mais on dispose d'assez peu d'éléments fixes et solides où accrocher des menottes. Comme pour l'amour en chaussettes dont parle Kundera, le radiateur est plutôt l'un de ces éléments parfois inévitables dont on essaie de faire abstraction pour ne pas basculer dans le ridicule.

Rôle : le BDSM, plus précisément son aspect DS, consiste à adopter explicitement un rôle de soumis' ou de dominant', qui peut être exotique (et souvent stéréotypé) comme celui de la soubrette, ou "nous, version soumis'/dominant' " c'est à dire que nous nous comportons avec naturel, excepté pour ce qui concerne la relation de domination, généralement jouée comme une donnée arbitraire et parfois permanente sans qu'il n'en soit rien (il existe de très rares relations de domination qui sont réellement jouées en permanence ; je n'en connais qu'un exemple). Beaucoup de ces rôles font intervenir la notion de discipline, le vouvoiement ou des punitions, mais c'est loin d'être obligatoire. Les rôles BDSM sont avant tout affaire de goût personnel.

Safe word : dans un rôle où l'on résiste, se débat, supplie, comment faire savoir que l'on veut vraiment arrêter de jouer ? En définissant ensemble à l'avance un mot qui signifiera sans ambigüité cette volonté de sortir du rôle. Stop me convient très bien, mais si on craint que, le contexte prêtant à confusion, la / le dominant' ne le perçoive pas immédiatement comme un appel, on choisira un mot qui ressorte plus sur fond de "Non, pitié, arrête", par exemple "hélicoptère" ou "salade". Changer de ton et d'attitude suffit généralement, mais avoir un safe word est plus sécurisant, en particulier pour le / la dominant' qui pourrait, sinon, se laisser prendre à un jeu par trop réaliste et s'inquiéter.

Pour finir, quelques liens :

vendredi 9 octobre 2009

Fantasmes (une libido de dominée)

Je veux parler de mes fantasmes, non pour ajouter à ce blog une touche croustillante, mais parce que je suis toujours surpris' d'y retrouver toute l'étendue des violences sexistes qui existent dans la réalité. Moi qui lutte pour que les femmes obtiennent respect et conditions de vie épanouissantes, je reproduis et cultive à plaisir en mon for intérieur les violences et les injustices que je dénonce. Quelle est cette étrange contradiction ?

Sans entrer dans les détails (j'espère ne pas causer de trop cruelles déceptions) ma branlothèque personnelle semble de prime abord tout droit tirée de Sade ou de Réage. Mais une différence me paraît cruciale : chez eux, cette violence est assortie d'un discours justificateur. Rien de tel dans mes fantasmes ; la brutale dissymétrie entre mon personnage (et éventuellement d'autres femmes) et les hommes y est un donné qui non seulement n'est pas justifié mais ne saurait l'être.

Bien au contraire, l'arbitraire de la situation est dans chaque scénario un élément central, mis en valeur par la conscience exacerbée qu'en ont tous les protagonistes. En ceci mon univers diffère également de la réalité, où la plupart des violences sexistes font l'objet d'un déni global, tant de la part de leurs témoins que de leurs auteurs, et souvent de leurs victimes mêmes. À lui seul, cet arbitraire explicite fait de la violence dans mes fantasmes quelque chose de très différent des violences invisibles, légitimées ou banalisées que subissent les femmes.

Mais au fait, d'où viennent-ils, ces fantasmes ? Libido, je désire. Que désiré-je en tant que femme, qui s'apparenterait à de telles violences ? Que ce soit bien clair : rien que je veuille en réalité ; le désir n'est pas l'expression d'une volonté, il émane directement de notre expérience émotionnelle. Quelle expérience émotionnelle peut faire qu'une femme désire le genre de violences qu'elle va probablement subir dans la société ? Tout simplement son éducation de dominée, qui sert notamment à lui façonner une libido de dominée.

On nous fait désirer être ce que j'appelle la princesse, c'est à dire un objet docile livré au bon plaisir des hommes. Bien sûr, ce n'est pas ainsi que nous est présenté notre condition(nement), mais sous une forme édulcorée et assortie d'arguments variés. C'est pourtant de là, selon moi, que naissent tant mon goût pour la soumission jouée du BDSM ou celle, imaginaire, de mes fantasmes, que les dispositions grâce auxquelles une soumission bien réelle est obtenue des femmes dans la plupart des circonstances de leur vie.

vendredi 18 septembre 2009

Vos autres

La douleur est une sensation. C'est un signal qui nous incite à nous soustraire à sa cause, pour nous protéger. La peur aussi est un signal de danger, et pourtant il y a des gens qui se jettent dans le vide accroché's à quelques morceaux de toile et de métal. Et qui volent. Leur peur est une sensation agréable qu'on appellera par exemple "frisson", terme plus positif. Illes aiment voler, dépasser les limites terrestres des humain's, mais aussi éprouver cette peur intense et maîtrisée. Et heureusement pour ces apprenti's oiseaux, personne n'y trouve à redire.

Marcher pieds nus dans l'herbe, manger épicé procure des sensations que certain's aiment et d'autres pas. Les un's ne traitent pas les autres de malades pour autant. Qui glousserait en imaginant les deltaplaneur's dans leur harnais, gigotant sur leur barre pour se diriger ? Qui confondrait leur vertige exquis avec la peur affreuse du conducteur' qui voit arriver droit sur ellui la voiture d'en face ? Qui réduirait leur pratique à la sensation de peur qu'illes en tirent, qu'elle soit comprise ou non ?

C'est à ces réactions vexantes, à ces amalgames ineptes que nous, adeptes du BDSM, sommes sans cesse confronté's. Le plus souvent sans pouvoir rien objecter : nous sommes vivement incité's à ne pas étaler nos pratiques déviantes au grand jour. Question de pudeur. Et aussi : dire, ou plutôt avouer qu'on aime partager des liens, des coups, dans nos jeux amoureux, c'est se classer parmi celleux qu'on sait si mal compris', qu'on vient d'entendre railler ; c'est s'exposer à toutes sortes de plaisanteries douteuses, voire à des comportements déplacés. Puisqu'on "aime ça".

Alors nous nous taisons, nous vous proposons vite un autre sujet de conversation pour ne pas en entendre plus. Ou bien ça ne passe pas. Après avoir grimacé le sourire attendu, nous sortons fumer une clope et nous annonçons bientôt qu'il est tard, qu'on se lève demain, bref qu'on se casse, merci pour la soirée. Grand ras-le-bol du silence imposé, du mépris, de la honte. Je vous demande de ne plus faire comme si "les sado-masos" étaient forcément "les autres", des gens très loin de vous, très différent's, et que vous pouviez rire d'elleux en toute innocence, sans blesser personne.

mercredi 9 septembre 2009

Coming out

Je suis bisexuel' comme tout le monde, ce n'est pas un mystère. Quand je parle de coming out, c'est au sens de ne pas garder dans l'ombre tout un pan de ma vie, officiellement pour faire preuve d'une réserve de bon aloi, en réalité parce que les pratiques BDSM sont encore plus au placard que l'homosexualité, parce que l'amour vanille accapare la parole pour donner le mauvais rôle à son ennemi juré.

Cette réserve qui est un placard, je la quitte. Exhibitionniste de ma peau, de mon âme, exsangue après cette longue réclusion, je ferai encore pâlir vos mièvres simulacres, maintenant qu'ils ne sont plus défendus par un silence forcé.

vendredi 28 août 2009

Méfiez-vous des imitations

Par définition, lus-je trop jeune pour qu'aucune défiance envers les idées de Krafft-Ebing et consorts ne m'en prémunisse, par définition : le pervers n'aime pas. Et le pervers, c'était moi. Je devrais d'abord me défendre sur ce point, je ne le ferai pas. Peu m'importe le qualificatif, beaucoup m'importent les conclusions qu'on en tire, et surtout cette condamnation sans appel qui fut, à quinze ans, ma confirmation de paria.

On devrait retirer des bibliothèques municipales tous les ouvrages d'une psychiatrie périmée qui a déjà tant torturé au nom de la normalité, et continue à nuire jusque dans la perception que nous autres, sombres naufragé's, avons de nous-mêmes. Le premier livre que j'ai trouvé quand je cherchais à me connaître n'aurait pas dû être celui-ci, dont j'ai tout oublié sauf cette terrible phrase : le pervers n'aime pas. Même après avoir compris l'intérêt qu'une société peut avoir à asséner une telle horreur, et vu combien elle était fallacieuse, cette idée m'a poursuivi'.

J'aime ? Ou je crois aimer ? L'ai-je lu, l'ai-je déduit de cette prose putride, ce corollaire, évident : tout ce qu'on pourrait prendre pour de l'amour chez ledit pervers, qu'il pourrait lui-même prendre pour de l'amour, n'en est qu'une sordide imitation, comme le sont chez le chimpanzé ce qu'on prend pour des marques d'intelligence. Contrairement à la science, dont les affirmations portent leur propre réfutation potentielle, un tel propos ne peut être contredit. Pas plus ne peut-il être effacé.

Alors ? Peut-être que l'amour est une fiction bien réelle, que ne vivent pour de vrai que ceux qui croient la vivre. Peut-être qu'aimer, c'est d'abord s'en croire capable, nommer amour ce qu'on éprouve et relever en soi les doux souhaits qui en conforteront l'image plutôt que de se représenter ses mains soudain griffues d'un désir égocentrique, se tendant sans égard vers l'objet, ah, l'objet... bref. Peut-être qu'il suffit de le leur dire pour que ce soit vrai, et qu'après tout, puisqu'on le leur dit, les pervers n'aiment pas.