L'enragé'

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Tag - contraception

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lundi 13 septembre 2010

Un témoignage

C’est vrai que j’ai fait l’amour à 15 ans. Le jour de mon anniversaire, je me suis offert ça ! C’était avec un garçon qui me plaisait bien sûr. On fréquentait les mêmes écoles, séparées côté filles côté garçon. On chantait bien tous les deux dans la même chorale de l’école. Il était beau, il chantait bien et il faisait très bien l’amour... Cela, je ne le savais pas encore, vu que c’était le premier. Il avait 16 ans et deux jours. On était vraiment adultes...

Évidemment j’ai été enceinte tout de suite. Mes parents ont dit "c’est pas possible ! A quinze ans !" Mais ils n’étaient pas idiots, ils connaissaient pas mal de trucs et mon père m’a amené à Paris pour me faire avorter dans de très très bonnes conditions, chez un médecin.

Seulement papa, il a pris un air très grave et il a dit : "Et tâchez de ne pas recommencer !" Comme information, c’était un peu juste. Pendant la guerre, les préservatifs n’étaient pas fameux. Et puis, bon, on ne voyait pas le danger. Bref, je suis retombée enceinte.

Cette fois, j’ai laissé faire, c’est comme ça que j’ai eu ma fille, à 18 ans. Au bout d’un moment, mon amant et moi on s’est mariés, il a arrêté ses études et il est venu faire les marchés avec nous. Mais le problème de la fécondation n’était pas du tout résolu. On a tout essayé, les injections d’eau savonneuse, avant et après, la méthode Ogino, le retrait, puis ceci, puis cela, tout y est passé... Rien ne marchait. A cause de cette absence de contraception, j’ai avorté 10 fois. Un ami de la famille m’a dit : "Je vais t’apprendre, si tu le fais dans de bonnes conditions ça doit aller."

Il m’a expliqué comment mettre une sonde, en prenant les mesures d’hygiène. Il a très bien expliqué et mon mari a appris aussi. Je n’ai jamais eu de pépins, sauf une fois... Là, j’ai failli claquer. Je croyais que tout était sorti, mais il en restait. Il y a eu une infection rapide, avec une grosse fièvre. J’ai eu peur ! Le médecin était bien ennuyé. En plus, c’était la guerre. Or, c’était un médecin juif, qui s’était réfugié en zone libre. Et bien il ne m’a pas laissé tomber ! Il m’a dit : "Je vais faire tout ce que je peux pour ne pas vous envoyer à l’hôpital." Vous voyez les risques qu’il a pris, lui qui n’avait pas le droit d’exercer. S’il m’était arrivé quelque chose, il allait en taule. Il m’a fait un curetage sur la table de la cuisine. Heureusement, c’était une table avec des rallonges. Sous la table, il a mis une cuvette, tout ce qui sortait tombait dedans. Il y avait du sang partout. Non, je n’ai pas souffert. Il m’avait mis un masque pour m’endormir. J’ai été très bien opérée. Bon, c’était assez dramatique, quand même ; mon mari ne se sentait pas bien. Enfin, ce médecin m’a sauvée, il prenait de drôles de risques. Merci docteur juif.

Mais je n’avais toujours pas les moyens de ne pas recommencer. En tout, dans ma vie de jeune fille, de jeune mère, et après, dans ma vie de femme libre, j’ai avorté 10 fois. Si ça faisait mal ? Bien sur, on savait qu’on allait avoir mal. On se demandait aussi à quel moment c’était mieux de le faire. On avait compris que c’était mieux à partir de trois mois, ça se décrochait mieux, c’est l’ensemble qui sort, parce que avant c’est résistant. Mais ça fait beaucoup plus mal. Les avortements autour de deux mois, ça descend mal, et on ne sait pas si tout est parti ; il sort des petits trucs. C’est pour ça que moi, j’ai failli crever.

En tout 10. Je ne suis pas la seule. A cette époque-là, c’était la débrouille. Ma mère avortait aussi. Ce n’était pas un plaisir, mais il faut savoir choisir entre les inconvénients. Je ne me plains pas, c’est l’instinct de survie. Ce qui est marrant, c’est que je ne suis pas devenue frigide. J’ai eu un seul enfant : j’avais des idées "politiques" très arrêtées. C’était la guerre, et j’ai dit : "Je ne ferai pas d’enfants pour qu’ils aillent à la guerre, j’ai eu une fille par accident ; je n’aurai pas d’autre enfant."

J’ai divorcé. Quand mon ex-mari a eu une deuxième femme, c’est moi qui l’ai avortée. Il m’a demandé si je pouvais le dépanner ; il savait que je savais faire une fausse couche. Je l’ai fait pour elle, pas pour lui. Cela s’est bien passé. Mais elle, elle avait la trouille. Ensuite j’ai fait des avortements, quand des femmes venaient me voir et me le demandaient. J’ai même fait un avortement sur la fille d’un gendarme. Je sais pas si vous voyez.

Parce que quand même, j’ai été dénoncée un jour. En 1950. C’était complètement fou ! La femme d’un copain croyait que j’étais la maîtresse de son mari. C’était faux. Lui avait dû trop parler. On a toujours tort de raconter des trucs comme ça. Elle m’a dénoncé à la police. J’habitais Paris, à cette époque. Les flics sont venus m’arrêter chez moi.
- Police. Suivez-nous !
- Qu’est-ce que j’ai fait ?
- On va vous expliquer.
Ils ont vidé mon placard de correspondance. Ils ont cherché mon matériel, il était bien caché, je ne vous dirai pas où. C’était le matin, de bonne heure, ma fille n’était pas encore partie à l’école. elle avait 12 ans. Les flics lui ont dit : "T’en fais pas ; ta mère va rentrer."
Je lui ai dit : « Ne t’inquiète pas, ils se trompent, ils viennent chercher quelqu’un d’autre. » Elle a été impeccable, elle n’a pas bronché. Et quand elle est rentrée, j’étais là.

Bref, je me suis retrouvée Quai des Orfèvres. Je suis tombée sur un flic qui n’était pas bête du tout, il y en a quelques uns. De temps en temps, il me disait : "Madame, je ne suis pas si bête que ça, voyons..." Mais je n’étais pas là pour cracher : je suis une avorteuse. D’abord je ne me suis jamais considérée comme telle. Et puis, il ne faut pas en dire plus qu’ils ne vous en demandent. N’empêche que j’avais un peu la trouille, parce qu’il y avait des lettres qui disaient : "Madeleine, excuse moi de te le redemander, mais j’aurais besoin de ton matériel." Finalement, on a trouvé un compromis, j’ai dit le minimum, j’ai avoué pour ce cas-là. Je n’ai pas dit que j’avais fait je ne sais combien d’avortements !

Je suis passée devant un tribunal. J’avais un excellent avocat, il a été parfait. J’ai été condamnée à deux ans de prison avec sursis. Comme j’avais beaucoup d’amis, ils se sont cotisés pour payer l’amende, parce que moi, je n’avais pas un rond. Donc je n’ai pas fait de prison.

Ce qui m’a rendu service, question contraception, c’est que j’ai eu un cancer. Quand j’ai été opérée d’un sein, le médecin, qui n’était pas idiot m’a aussi enlevé les ovaires. Résultat : j’aurais pu faire l’amour toute la journée et toute la nuit. C’est dommage, je n’en ai pas assez profité, c’était un peu tard. Mais ça m’a rendu service quand même. Car tout ça, ça ne m’avait pas enlevé l’envie de faire l’amour. Il y a une espèce de petit jeu, on joue avec le danger, on va s’en sortir ! Mais pas à tous les coups...

De toute façon, à un moment, ça me pesait un peu. Je voulais que les médecins se mouillent, que, lorsqu’ils voyaient une femme en difficulté, ils aient l’humanité de la sortir de là. Que ce ne soit pas toujours nous qui fassions le boulot.

Je militais au MLAC. Il n’y a que comme ça qu’on pouvait s’en sortir, pour avoir des contraceptions. On faisait du bon boulot, toutes ensemble. On tenait un stand sur le marché d’Aligre. Il arrivait que les femmes viennent nous voir et se mettent à pleurer. Elles disaient : "Enfin, on en parle !" Les permanences ont été un grand lieu de conscientisation des femmes. Et nous, heureusement, on n’avait pas peur, même si c’était interdit.

A un moment donné, j’ai été au PSU, mais faut dire la vérité : mes opinions sont plutôt anarchistes. Anarchiste collectiviste, on ne peut pas se libérer tout seul. Pendant la guerre d’Algérie, j’ai souvent planqué des Algériens dans ma maison, ils dormaient dans mon entrée, à cause du couvre feu. Les flics venaient interroger ma concierge. J’ai un dossier comme ça !

Je ne pourrais jamais me refaire une virginité.

Extrait de Paroles d’avortées, pioché dans Les témoignages des chattes sur cette mine qu'est Infokiosques.net.

lundi 7 septembre 2009

Habeas corpus ou pas ?

Ceci est le troisième épisode de notre grande saga : La contraception expliquée à ceux qui s'en passent très bien.
Lire le premier épisode
Lire le deuxième épisode

Et si on ne voulait plus faire d'enfant du tout ? Pourquoi on se donnerait tout ce mal avec une contraception temporaire, quand on a enfin le droit de régler le problème une fois pour toutes ? Depuis 2001 on l'a, ce droit. Avant c'était le doc qui décrétait : on vous opère, comme pour Minouche.

Ah oui, voilà pourquoi : nous autres girouettes, un jour on ne veut plus jamais d'enfants, le lendemain on crie à la mutilation. Bien sûr. Si on était des adultes responsables, on se garderait bien de prendre des décisions aussi définitives. Et donc là puisqu'on ne veut pas reprendre la pilule, on va être obligée de continuer avec un stérilet. Ben voyons.

Moi j'en vois bien une autre de contraception, pour nous les femmes qui ne savons pas ce que nous voulons et même, qui osons prétendre le savoir. Une contraception vraiment efficace : sans effets secondaires, sûre à 100%. Pas de coït, pas de reproduction. Eh les mecs, on en reparle quand vous voulez de la ligature des trompes. Vous êtes au courant pour le délai de quatre mois ?

mercredi 15 avril 2009

Habeas hospes corpus

Ceci est le deuxième épisode de notre grande saga : La contraception expliquée à ceux qui s'en passent très bien. Lire le premier épisode

Voilà qu'on l'obtient enfin, ce merveilleux stérilet qui va abolir les négociations à la pharmacie et autres périodes capotes - avec en prime le sentiment d'être en-dessous de tout, c'est pas le bout du monde de prendre un rendez-vous tous les six mois.
Voilà que le matin on regarde le coin de la table de nuit en se disant : enfin tranquille avec ça. On le regarde quand même plusieurs fois, le temps de se convaincre que la plaquette de pilule, c'est vraiment du passé.
Maintenant ce qui est embêtant, c'est de vivre avec cette espèce d'antenne de télé coincée de travers quelque part en soi. (Dès qu'on dit le mot : utérus, ça appartient aux médecins.)

Et si il y avait un problème ? On nous l'a tellement rabâché que c'est devenu inévitable d'y penser. Peut-être que tout est déjà en train de pourrir autour de l'objet, d'ailleurs ça fait un peu mal et personne ne nous a jamais dit que ça faisait mal un stérilet. Alors sûrement...
On sait bien que c'est stupide, qu'il n'y a pas de raison de s'inquiéter. Mais il reste ces moments d'angoisse, récurrents comme l'est cette sensation pénible quand on presse le pas, pendant les règles et bien sûr lors des galipettes. Attends pas comme ça y'a mon stérilet qui me fait mal. So romantic.

lundi 9 février 2009

Habeas corpus

Ceci est le premier épisode de notre grande saga : La contraception expliquée à ceux qui s'en passent très bien.

Le droit à disposer de son corps va de soi. Mais dans le corps d'une femme, il y a autre chose qu'une personne : cet intérêt supérieur qu'est la procréation ne lui appartient pas. La pilule, symbole d'une grande -mais partielle, mais fragile- victoire, le droit à la contraception, la pilule m'est devenue odieuse à force de rendez-vous pris en catastrophe, de frottis systématiques et brutaux, de faveurs exceptionnelles accordées par le pharmacien.

Pour s'assurer de les revoir régulièrement, les gynécologues refusent à leurs patientes d'autres modes de contraception que la pilule, prescrite pour trois mois, renouvelable une fois. Ce chantage simple mais efficace vient à bout des femmes irresponsables qui ne prendraient pas d'elles-mêmes rendez-vous tous les six mois. Au fait, et si votre dentiste vous faisait un coup comme celui-là ? Pour votre propre bien, n'est-ce pas.

Une femme peut espérer se voir autoriser le stérilet, si elle est méritante. Deux enfants, c'est tout ce qu'on lui demande, et elle aura enfin la paix, pour quatre ans. Ah pardon, c'est à cause du risque de stérilité. Elle ne peut pas décider elle-même de le prendre, ce risque, surtout si elle est jeune. Elles se rendent pas compte. "Non, vous ne pouvez pas avoir de stérilet." lui répond le gynécologue, et elle ne peut pas avoir de stérilet.

C'est seulement après deux enfants, ou après avoir réclamé pendant des années, quand elle aura dans la voix un accent désespéré qui dit "Faut-il que j'aille en Suisse pour avoir un stérilet ?", seulement alors, qu'elle pourra avoir une contraception qui ne soit pas une bataille permanente.